Haïti : DES brigades de Vigilance
(groupes d’auto-défense) et paramilitaires a l’émergence et la récupération
politique des gangs et bandes armés dans les communautés
Jean Laforest Visene
Ce
papier n’a pas la prétention de projeter une vue complète de la problématique
de la violence des gangs et des bandes armés dans les communautés haïtiennes.
Il peut servir uniquement au lecteur à mettre en perspectives certains des
faits évènementiels du vécu socio-politique haïtien qui auraient conduit à ces
dérives sociocommunautaires. Il peut aussi aider à comprendre l’importance du
développement de synergie entre des programme d’apaisement social et des
interventions de type de 2eme génération de DDR, comme la Réduction de la
Violence Communautaire, dans l’efforts de pacification pérenne d’un Etat.
Le
papier est structuré en quatre sections, présentant : premièrement, la
présentation de relevés de séquence d’évènement historique, ayant des
déterminations de la violence communautaire ; deuxièmement, des éléments informatifs
sur les conditions socio-économiques de la société haïtienne ;
Troisièmement, des action initiées dans le cadre de la Mission des paix en
Haïti (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti –MINUSTAH) pour
parvenir à une déconstruction de la violence au sein des
communautés ; Et enfin un
cartographie des interventions.
I.
Séquences évènementielles et/ou
contextuelles
·
1804
– 1957 : Conflit interne pour le contrôle et l’exploitation des ressources
économiques du pays. Les germes de la violence communautaire, émergée en Haïti
vers les années 80 et 90 ont été semés durant cette période. En effet, dès les
premiers jours, d’après l’indépendance, l’ambiance n’était pas favorable à la
construction d’un état pacifique stable et équitable. Les généraux de couleurs (mulâtres) ont accaparés toutes les
ressources du pays. Au point que Jean-Jacques Dessalines le fondateur de
l’indépendance et premier chef d’Etat de la République eut à crier à ces
derniers : « Et les pauvres
noir dont leur père sont en Afrique, n’auront-il donc rien » Il a été assassiné
pour cette position. Depuis, Haïti est jonchée de période de coup d’Etat, de
tuerie des chefs d’Etat, d’Exil etc.
·
1957 :
Arrivée au pouvoir d’un Leader politique, considérée comme un « outsider »,
Dr François Duvalier. Ce dernier voulait faire une révolution noiriste, sous un
faux-semblant de mouvement de négritude. Les hommes de couleurs sont mis
totalement au rancard de la politique du pays : Persécutée et exécutes,
ainsi ceux qui leur témoignent de leur sympathie. Comme stratégie de survie et
d’intrusion les éléments de couleurs vont faire des alliances occultes incluant
des mariages stratégiques de leur filles avec des éléments intra et /ou à cote
du pouvoir, en particulier vers la période du Jean-Claudisme.
·
1957
- 71) : Voulant contrebalancer les pouvoirs de l’Armée a été créé un corps
préposé à la sécurité du Président de la République. Ce corps est
dénommé : Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN). Il est établi de
plein pouvoir et se rivalisait a la hiérarchie des Forces Armees d’Haïti (FAD’H).
Le pouvoir avait aussi organisé une force de police secrète (Services Détachés ayant
pour sigle SD), qui dépendait des Recherches Criminelles. Parallèlement, des
autorités militaires proches du gouvernement se faisaient aider dans leurs
tâches par des suites qui exécutaient leurs ordres. Ces derniers étaient connus
sous l’appellation : « Les attachés ».
·
1960
et 1970 : Mouvement de rébellion pour renverser le pourvoir et dans
certains cas pour régler des comptes personnelles avec le pouvoir. Car des
massacres ont été perpétrés par le
pouvoir contre certains bastions de la classe de couleur dans plusieurs régions
du pays. La majorité de la population se poste en spectateur, mais en paie un
lourd tribut.
·
Vers
1980 : Arrivée et émergence de la théologie de libération en Haïti. Cette
nouvelle idéologie a catalysé la multiplication des « Ti Komite Legliz (TKL)»,
des groupes de prière qui se sont transformés en des groupes idéologico-politiques.
Interprétant, à dessein, une phrase du discours du Pape Jean Paul II, lors de
sa visite en Haïti, le 8 mars 1982, les leaders de ce mouvement ont eu d’énorme
succès dans le pays. Le Pape eut à dire lors de son passage : « Il faut que quelque chose change ».
Ce vœu, selon plus d’uns, aurait été déterminant dans la capitulation du régime
d’alors.
·
1980
- 1986 : Violence armée dirigée vers l’ensemble de la population. Cette
violence est télécommandée et dirigée au
niveau de la superstructure politique et des entités de l’Etat. Elle est
conduite par les forces armées et des milices légalement constituées bien avant
pour protéger le régime ainsi que les autres groupes parallèles,
ci-dessus-mentionnés.
·
7
février 1986 : Le vaste mouvement populaire pour la liberté des droits civils
et politiques et la fin de la répression sur la population a conduit au départ
de Jean Claude Duvalier, après 30 ans de dictature (Duvalier père et Duvalier
fils).
·
1986 :
Le mouvement de « dechoukage »
du régime politique et de ses supporteurs initie une arme de revanche populaire :
« Le Père Lebrun ». Les
membres du régime de la dictature et ses supporters sont brulés avec des
caoutchoucs. Les biens des particuliers, des institutions publics sont pillés
et leurs bâtiments brulés. La hiérarchie de la FAD’H, mécontent du rôle de premier plan accordée au
commandement des VSN par la dictature, reste
passif a ces massacres populaires ;
·
A
partir de 1987 :
o
Chute
libre de la production nationale, importation massif des produits vivriers pour
la consommation locale.
o
Hausse
des prix des produits de premières nécessitées ;
o
Hausse
du chômage ;
o
Rurbanisation
accélérée et vaste bidonvilisation des principales villes du pays.
o
Apparition
de nouvelles formes de violence non centralisée au niveau institutionnel et au
niveau de l’Etat.
·
1989 :
Apparition du phénomène de « zenglendo » et des escadrons de la mort.
Des gens armés et en uniformes militaires rentrent, le soir, et en toute quiétude,
dans les résidences privées pour dépouiller les résidents. Souvent ces derniers maltraités,
tués et vu leurs filles violées. Les officiers, sous-officiers et soldats de la
FAD’H sont accusés d’être les auteurs de ces exactions et crimes, en raison de
l’incapacité du régime d’alors de leur payer leur salaire. Le régime, bien que au
courant de cette dérive, fait la sourde oreille. En réaction, les membres des communautés,
en particulier des quartiers surpeuplés, commencent à s’organiser en « brigade
de vigilance » c’est-a-dire des groupes
d’auto-défense. Les membres de ces groupes utilisent des armes domestiques
(kouto, kouto-digo, machette, katchapika, bâton, …) pour assurer leur sécurité.
·
1990 :
1ère élection libre et démocratique de la république d’Haïti. Le
nouveau pouvoir fait une tentative de vassalisation de l’armée. Des membres du
Haut Etats-majors sont mis à pied, de manière impromptue et de nouveaux chefs
émergents.
·
30
septembre 1991 : Coup d’Etat de l’Armée contre le président élu dans la
première élection démocratique d’Haïti. L’armée appelle ce coup d’Etat une
« Correction démocratique ».
Un groupe paramilitaire, dénommée FRAPPE, prend les rênes de la violence sur
les communautés, ciblant les partisans du régime déchu dans les zones
surpeuplées ;
·
1991
– 1994 : Renforcement / réactivation des monuments dénommée « Ti Komite
Legliz » et des Brigarde de vigilance (les groupes d’auto-défense) pour
exiger le retour à l’ordre constitutionnelle et aussi pour se protéger contre
la répression du pouvoir de facto. Entre temps, les protagonistes, incluant les
récupérateurs politiques des brigades de vigilance, arment de manières
incontrôlées leurs partisans.
·
1994 :
Retour à l’ordre constitutionnel avec le support de l’armée américaine. L’armée
républicaine d’Haïti, ainsi que la gendarmerie nationale sont sommées de rester
cantonner dans leurs casernes. Puis elle est dissoute sans aucune planification
et programmation institutionnelle. Les membres de ces forces, démobilisées,
puis dissoutes sont partis chez eux avec leurs armes et leurs munitions et sans
indemnisation. Les menaces des militaires poussent les membres du pouvoir à accélérer
l’armement de ses partisans pour se protéger. Les groupes d’auto-défense se
transforment, alors, en de véritables groupes armés a vocation
politico-idéologique.
·
12
juin 1995 : Création de la Police Nationale Haïtienne (PNH) en
remplacement des Forces de Défense et de Sécurité dissoutes. Les effectifs ne
permettent pas d’assurer la sécurité et le contrôle sur l’ensemble du
territoire.
·
2001 –
2004 Reprise du pouvoir l’élu des élections de 1990 : Jean-Bertrand Aristide,
après des élections présidentielles contestées. Le pouvoir se consolide sur ses bases. Durant
cette periode apparait deux groupes opposés « Grenn Nan Bouda -GNB» (opposée au pouvoir) » et « Rat Pa Kaka - RPK» (supportant le
pouvoir. Le premier est appuyé par un groupe de rebelles, conduit par un ancien
officier de l’ex FADH. Provenance du Nord de la république d’Haïti, il marche
sur Port-au-Prince. Les armes sont distribuées dans toutes les directions par les protagonistes à leurs partisans.
·
29
février 2004 : Escorté par des soldats français, Jean-Bertrand Aristide
est exilée en République Centre Africaine, à Bangui, puis évacué en Afrique du
Sud. Ses partisans crient au kidnappinp politique et scandent au retour à
l’ordre constitutionnel. Les groupes de protection du pouvoir et les bandes de
l’armée du nord se transforment en de véritables gangs sans contrôle dans les
différentes communautés de leur zone d’influence.
II.
Bref résumé de la condition
socio-économique de la population haïtienne
Succinctement, la situation socio-économique
d’Haïti a empiré depuis quelques décennies. Selon les observations et
information disponible dans plusieurs sources de référence consultables, on
peut relater que :
o
Huit des dix millions d’haïtiens vivent sans électricité;
o
Plus de cinq millions d’haïtiens ne savent ni lire
ni écrire;
o
Huit haïtiens sur 10 vivent avec moins de 2US par
jour;
o
2% d’haïtien control plus de 69% des ressources du
pays.
o
Hausse inflation ;
o
Absence
des services de base dans la plupart des communautés, en particulier celles
surpeuplées ;
o
Absence
de structures et de service sanitaire dans la plupart des zones ;
o
Absence
des infrastructures routières servant de voie de pénétration facile aux forces
de défense et de sécurité ;
o
Sur les 4.200.000 d’haïtiens qui travaillent seul
200,000 ont un emploi régulier et formel
o 80% des gradués
de l’université émigrent vers des pays étrangers ;
o Forte érosion,
due au déboisement cultivable, des terres, antérieurement cultivables ;
o Haute degré de
corruption au niveau des administrations ;
o Circulation des
différentes drogues dans les communautés ;
o Facilitée
d’accès à la possession d’armes à travers le commerce clandestine. etc
Face à
de telles conditions, la violence communautaire trouve un terrain facile pour être
émergée et manipulée.
III.
Actions de redressement dans
le cadre de la Stratégie de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation
en Haïti
·
La formation professionnelles et la création
d’activités génératrices de revenues en faveur des jeunes des quartiers
difficiles ;La Création d’Emplois et la Protection de l’Environnement, par la réhabilitation des
infrastructures communautaires ;
·
La stabilisation communautaire et la mise en place des projets
d’infrastructure de base ;
·
La Réinsertion des Jeunes Vulnérables, par la formation, la
socialisation et l’accompagnement psychosocial ;
·
Des activités de rapprochement des communautés des Forces de Défenses et de
Sécurité (FDS) en particulier de la Police Nationale d’Haïti (PNH) ;
·
La Réinsertion en Milieu Carcéral, par la réduction du
potentiel de violence du détenu et sa préparation à sa réinsertion
socioéconomique et communautaire ;
·
La sensibilisation sur la problématique du Genre, les femmes étant considérées
comme l’un des groupes les plus vulnérables dans les communautés affectées par
la violence ;
·
La mise en place de projets en faveur des victimes de la violence
spécifique liés aux groupes et aux bandes armées ;
·
L’Assistance Légale et Judiciaire, la violence étant souvent
liée au manque d’accès à la justice.
IV.
En guise de conclusion
Nous
pouvons avancer comme hypothèse que la violence communautaire n’est qu’une
construction sociale, étroitement liée au système de jeu des acteurs. Pour
l’adresser, il faudrait passer par sa
déconstruction. E c’est ce que fait le programme « Réduction de la Violence Communautaire
(RVC) » prise au sein de la MINUSTAH. Ce programme est applicable dans des
pays en conflits dont les déterminations fondamentales sont
intracommunautaires. Certainement, une évaluation ex-ante pourra déterminer la
proportion des composantes : supra, extra et intra de cette violence
observée dans l’environnement concerné par le vœu de mise en œuvre du
programme. Nous proposons dans l’éventualité de l’expression de ce vœu qu’on
puisse :
·
Etablir,
au départ, une théorie de changement qui servirait de base à l’évaluation du
programme, avant le hand-over des acquis aux agences de développement des
Nations Unies / acteurs humanitaires et aux structures nationales qui
assureront le suivi et la mise en œuvre des actions de pérennité de la
stabilité à plus long-terme dans les
communautés bénéficiaires ;
·
Penser
et exécuter le programme en des perspectives étroites avec de la Réforme du
Secteur de Défense et de Sécurité (RSS) et du secteur de la Justice, du
contrôle de la circulation des armes et aussi en complémentarité d’éventuel programme
de DDR classique, adressant le Désarmement, la Démobilisation, la Réinsertion
et la Réintégration (DDRR) des éléments des groupes armees formels. S’il y a
lieu il ne faudrait pas, non plus, dans cadre de ce dernier volet, négliger la
question de rapatriement ;
·
Organiser
le programme de manière à ce qu’il puisse déboucher sur un désarmement
communautaire et un rapprochement des communautés des Forces de Défense et de
Sécurité.
Reste
est-il d’observer la mutation de cette premier version de la génération de
DDR dans les missions de paix des Nations Unies.
Note :
|
Les idées et opinions exprimées
dans le texte n’engagent ni la MINUSTAH, ni la MINUSCA. En aucun cas, Elles
ne peuvent être assimilés ni à la vision et/ou la perception de ces entités.
|
Jean Laforest Visene
Sociologue, M.A. es Sc. DéveloppementProfesseur à l’Université d’Etat d’Haïti (UEH)
E-mail : visenejl@gl.com
Web page : www.visenjl.blogspot.com
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