vendredi 9 octobre 2020

Au-delà du phénomène «block / lock» dans l’Haïti vielle de 33 ans de démocratie

 Depuis plus d’un mois, Haïti est en train de vivre un nouveau virement dans la crise haïtienne, initialisée depuis juillet 2018. Originellement, c’est un mouvement de protestation collective, dont des jeunes assuraient la guidance et réclamant la tenue du procès Petro-Caribe. Le politique s’est faufiler, petit à petit, dans la direction du mouvement, jusqu’à vouloir éclipser la marque des petro-challengers. Il faut dire que la diffusion des rapports de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) sur la gestion des fonds Petro-Caribe a été le moment intense de cette récupération.


Questionnement du paysage Haïti – route block / pays lock

Que peut-il y avoir au-delà du phénomène route block / pays lock, caractérisé par le « barricadage » des grands et petits axes dans les grandes et petites villes et parfois même en milieux rurales ? Des démonstrations en termes de protestations collectives, incontestablement, fourmilières, parfois, qui semblent avoisiner d’un million de participants ? Comment doit-on apprécier le fait que, pour la première fois, une crise politique met à nu la profonde division dans la classe des grands commerçants du pays (appelée injustement classe bourgeoise) ? D’un côté, ceux qui s’attachent au maintien de Mr Jovenel Moise au pouvoir, de l’autre côté, ceux qui veulent sa tête. Que dire des récents bras de fer entre le pouvoir et des entreprises éclectiques, dont leur propriétaire sont parties affichées aux protestations collectives en cours ?  Notons que le bras de fer se fonde sur la qualité des services que ces dernières sont supposées fournir à l’EDH en termes de quantité de mégawatts sur son réseau. Si on admet le principe classique d’intrigue permanent entre parti au pouvoir - ses alliés et partis adverses, doit-on lire dans le phénomène route block / pays lock et le semblant riposte en cours, comme des tentatives de l’un ou de l’autre, de démonstration de leur force, de la quête de l’opinion et de l’assentiment populaire ?

Permettez-moi de vous avouer que j’estime que la crise haïtienne actuelle est normale au regard des ingrédients de la totalité haïtienne. N’est-il pas admis que : « Sa w plante se sa w rekòlte ». Pour reprendre l’esprit du discours de Robert K. Merton, la crise haïtienne est une autoréalisation du système haïtien. Les vecteurs et les facteurs de la crise s’émergeaient depuis la fondation du pays. Puis, leur effet, dans la même direction, se sont intensifiés avec de nouvelles configurations sociologiques de la société haïtienne et la systématisation de certains habitus économiques de prédation et de mystification de l’autre. De ce fait, la crise ne peut pas être comprise et traitée en dehors de la totalité que représente la société haïtienne actuelle, le fait haïtien et les modes d’interactions et de réalisations des acteurs par rapport à leurs intérêts.

Est-il possible de profiter de cette présente crise pour poser les jalons d’une rupture avec des habitus économiques de prédation, des modes de mystification de l’autre et des manières de composition cyniques de la classe politique, du comportement réactionnaire de la classe intellectuelle et d’une frange de la masse haïtienne ? Par ailleurs, le cycle permanent de violence en Haïti, n’est-il pas symptomatique des séquelles esclavagistes, des problèmes émotionnels générés, jamais identifiés ou guéris et qui seraient les prédispositions au déclic de heurts et déchirements internes ? Est-il aussi possible de profiter de la crise pour assurer une refondation des bases de la gouvernance politique et administrative du pays ?

Le registre d’inscription d’Haïti

ZAFEM un nouveau groupe musical de rythme compas, nous permet de planter le décor de la crise politique qui frappe le pays. Avec un Reginald Cange de grand art et l’excellent Maestro Dener Ceide le groupe vient de faire sortir son premier vidéoclip titré « Savalou ». C’est une musique exceptionnelle, au point la considérer comme une virtuose griot. Je me permets de choisir certains extraits qui, certainement, permet d’inscrire Haïti dans un registre. Je choisis de les livrer sans commentaires particuliers.

“ Savalou wi mes chères citoyens 
Sa kap pran ak sa k pa di anyen 
Madoulè a la nan tout rakwen 
Ou ka vle inyore l, kanpe lwen l 
Li fin ta n ap di l bonè 

Nan gran ravin sou bwa geto yo toujou g on men 
K ap manipile 
Nèg ki lekòl k ap kenbe galil nan men l 
Nan bidonvil Ayisyen ap viv an ekzil 
Nan pwòp peyi l 
Otorite w pa ka pran pwòp pèp ou kòm lenmi w 
Ou la pou sèvi l

Ayisyen, nou gen moun ki te batay 
Ewo nou yo pat batay pou sa 
Pou n pat konsa jann ye la 
Ewo nou yo pat batay pou sa

Pa wè ou pa wè 
W ap fè kòmsi w pa wè – e w konte kòb chak jou 

Lajistis toujou pi prese pou trase lekzanp sou malere 
Men mèt afè a ap byen sikile se yo k pi gwo privileje 
Yo fin pran epi y ale san yo pa negosye 
Peyi sila ap viv kou òfelen nan mitan yon bann gwo je

Sa fè kèk tan la n okipe men sanble sa pa deranje 
Frè nou yo nan gouvernement, sa yo k nan gran pozisyon 
Pifò vle pran epi y ale san yo pa negosye 
Peyi sila ap viv kou òfelen nan mitan yon bann gwo je

Sispann jwe ak peyi a, jwe ak peyi a 
Sa nou wè yo bay dlo nan je 
Sispann jwe ak peyi a, jwe ak peyi a 
Lavi moun se bagay serye

Wi m ap di unissons nou pandan m konnen pami nou 
Gen sak pa janm dakò, yo ta prefere lanmò 
Men li ta bèl si kèk nan nou va chwazi defann peyi nou 
Pran richès nou ak fòs nou pou n sove lonè n 
Kilè rat kay va sispann manje pay kay

C’est dans un type de registre comme décrit, ci-dessus que s’inscrit Haïti : Un pays qu’on s’est tû trop longuement d’assister à son pillage, la dilapidation de ses fonds, donc se résigner sans mâcher mots ; Un pays habité par des plaisantins qui ne savent pas les enjeux de sa chose ; Se laissant manipuler de tout bord, alors que les autres avancent vers leur but ; Pour eux, il est encore tôt, donc on peut continuer à bambaner avec les choses profondes, nées des rêves des pères fondateurs de la patrie ; Un pays pris en otage par des flibustiers qui le considère seulement comme un butin à conquérir, pour aller jouir ailleurs ; Un pays où les dirigeants considèrent son propre peuple comme son ennemi et tout comme les grands commerçants et politiciens « k ap paweze nan gwo lajan, yo pa janm wè ti pèp la nan linèt  yo »; De fait, au lieu d’offrir le pain de l’instruction aux enfants haïtiens on les contraints à servir comme hommes de mains ; Un pays où le citoyen, héritier des pères fondateurs de l’indépendance d’Haïti se sent en exil sur son propre héritage ; De fait, il le fui pour se réfugier au Chili, au Brésil, au Canada, aux autres Antilles, en Afrique et ailleurs; Un pays où la justice « se dan pouri ki gen fòs su banann mi ». Au lieu d’arrêter les grands voleurs, les grands malfaiteurs qui sont les principaux responsables de la misère du peuple, ce sont les déshérités, les faibles et sans réseaux qu’on persécute, arrête et tue.

Un tel décor ne peut que donner lieu à un pays séquencé par des cycles de violence, certes, d’une capacité de résilience en énorme. C’est un pays qui recommence à chaque évènement.  Un pays qui retient son souffle pendant un court laps de temps après des crises, en attendant la prochaine crise. C’est un pays dominé par deux sources majeures de la violence : la violence provoquée par des phénomènes naturelles et la violence causée par la main humaine, dont les unes sont les plus aiguës que les autres. Mais c’est aussi un pays habité par un type d’haïtien combattif, survivant et croyant en un avenir meilleur, jusqu’à ce que refroidisse son espérance par la prochaine crise. Une jeune visiteuse française, observant la combattivité des marchands de rue, des jeunes vendeurs sur le réseau routier du centre urbain de Port-au-Prince, leur engagement dans ce qu’ils font, s’exclama : « Ce sont ces gens, qu’on m’a fait savoir, qui sont des paresseux, des parasites, vivant aux dépens des autres ? J’avoue que chez-nous, on n’aurait jamais pu manifester la combattivité de survivre de que ces gens démontrent ».

Aujourd’hui, le pays est aux bords d’une crise humanitaire et sécuritaire sans précédent. C’est la première fois qu’on assiste à une telle incapacité interne à assumer la sécurité intérieure du pays ; aux risques pour la circulation intérieure des produits de première nécessité, ainsi que la livraison de l’aide humanitaire aux personnes vivant en situation d’extrême vulnérabilité et moins encore. C’est aussi la première fois qu’on observe l’extrême précarité de l’accès aux soins pour les personnes en situation d’urgence sanitaire. Les appels des familles et personnes en détresse, les cas reportés d’usage excessif de la force, les assassinats et tueries, témoignent aussi de la gravité de la situation. 

Nul ne sait combien de femmes enceintes et d’enfants, de blessés, de personnes âgées ou en situation sanitaire spéciale sont morts pour cause d’inaccessibilité aux soins sanitaires. Tout cela constitue des crimes de guerre dont les responsables devaient payer selon les conventions et résolutions internationales y relatives. Ce qui rend la situation plus inquiétante c’est la radicalisation des positions des acteurs en conflit, c’est-à-dire l’opposition politique et le pouvoir en place, dont son chef est scandalisé par des soupçons de corruption. Les deux camps évoquent la notion de système comme le fonds du problème, dont le parti au pouvoir indexe les gardiens du système comme ses principaux détracteurs. Existe-il vraiment un système ou des systèmes parallèles qui handicape une application d’une politique et d’une gouvernance administrative au bien-être des communautés haïtiennes ? Si oui, qui en sont les véritables maitres ?

De la systématisation la gouvernance politique et administrative d’Haïti

Qu’est-ce qu’un système et comment fonctionne-il ? Soyons simple et directe. Quand on parle de système on parle d’un ensemble, composé d’éléments, interalliés et fonctionnant suivant des mécanismes de coordination. Mais, en dehors de la mécanique considération d’un système comme une machine, il faut distinguer l’idéal de ce qui est pratiqué en réalité, ainsi que le fonctionnel de celui du but à poursuivre. En politique, je pourrai définir le système, dans le cas d’Haïti, comme l’ensemble intégrant les communautés de citoyens haïtiens dans l’exploitation des ressources suivant des principes transcrits à travers des règles (Constitutions, lois, décrets, ….) dont la gouvernance est assurée par des hommes à travers des institutions établies, des règles et procédures plus ou moins strictes. Il n’existerait pas de système, sans l’existence du social, de son contexte politique et sa structure (des groupes ayant des intérêts et des motivations). Du fait même de l’existence du social émerge l’économique et de son armature, la nécessité d’une forme d’organisation et de combinaison politique pour l’exploitation, et qui se réalise suivant des prédicats moraux et idéologiques. Ce qui confère une autre compréhension de la configuration et des sous-jacents de la dynamique système.

Existe-il un système en Haïti ? Sous la loupe de la logique de l’idéale politique le système n’existe pas, mais, le système existe au regard des prédicats juridiques, de la systématique de l’existence du social et de ses formes de fonctionnement et d’interactions internes. Cependant, se pose le problème de la qualité, du mode de fonctionnement et du rendement du système. Un système existe en Haïti. Ces systèmes se sont institués à “l’orée” de l’indépendance de la république d’Haïti. Il s’est accidentellement ou sarcastiquement handicapé par des acteurs intelligents, dans une continuation de la politique contre la révolution noiriste de 1804 sous fonds insoupçonnés de lutte inqualifiable, pour certains, sous fonds d’enjeux de l’indépendance de la première république noire du monde pour l’économie capitaliste occidentale.

Dans le pré carré et le sous-bassement de la lutte politique actuelle se trouvent des bénéfices et d’énormes privilèges de toutes sortes. Il est bon de souligner l’indéterminisme des luttes traditionnelles de classes (entre noirs et mulâtres) congénères hérités authentiques de la patrie haïtienne. On ne peut pas dire que l’idéologie mulâtresse et l’idéologie noiriste ne sont plus distincts, ou seraient conjoncturellement consensuelle face à cette nouvelle classe de bourgeois étrangers, qui ont dépossédés les bourgeois noirs et mulâtres de leur préséance dans l’économie haïtienne. 

Car, quand on parle de Pétion-Ville ses alentours comme cours symbolique du bourgeois haïtien. En disant : « Pitit Desalin pral ka Pitit Petion », on a une fausse lecture de la direction de l’économique haïtienne, laissant comprendre que ceux qu’on appelle traditionnellement les fils de Pétion, symbolisme de la représentation des mulâtres, co-fondateurs de l’indépendance haïtienne et des bourgeois noirs principaux bénéficiaires de la politique noiriste de Duvalier, sont toujours les maitres de l’économie haïtienne. On y voit plutôt des syriens, des Libanais, des palestiniens, des occidentaux (Tous les pays confondus) qui détiennent les rennes du commerce du pays.  Ainsi, la classe politique haïtienne affiche son incapacité à lire, interpréter et comprendre les transformations dans son décor politique. Sans qu’on s’en rende compte, là se pose une question de fond de la supériorité des races, laquelle est toujours debout dans les hautes sphères de la politique et du débat intellectuel au niveau international.

Comment se fait-il, en moins de quelques miettes de décennies, un petit groupe de migrants étrangers de race blanche et interalliés ait pu se propulser à la tête de la hiérarchie de classe économique et sociale haïtienne, possédant plus de 95% des richesses économiques du pays et occupant tous les allés stratégiques du pouvoir politique ? On dénonce, l’oligarchie traditionnelle, l’oligarchie traditionnelle, de quelle oligarchie qu’on parle ? Certains diraient qu’à l’intérieur, on est tellement figé sur le passé qu’on ne s’en rende pas compte du déplacement du problème. Cependant, d’autres y verront une continuation de la politique de mettre constamment les va-nu-pieds en face des gens à chaussures. Quel que soit l’interprétation ou la compréhension, le problème de l’intelligence et de l’extrêmement imagination des vaillants combattants de l’indépendance se pose à travers la manière que des hérités authentiques de la révolution de 1804 agissent sur la politique haïtienne. On peut même se poser la question, si on s’en rend compte qu’on est en train donner des arguments aux théoriciens gobinistes pour faire resurgir des doutes de la validité de leur fausse théorie de supériorité d’une race par rapport à une autre.

Certes, des scientifiques comme Antênor Firmin, à travers sa thèse de doctorat en anthropologie à l’Université de Sorbonne sous le titre « De l’égalité des races humaines » et d’autres études ont démontés les malicieuses opérations de démonstration de la supériorité d’une race sur une autre. Mais, il reste évident, que des situations d’effondrement de si grands rêves des sociétés nègres comme celui d’Haïti capital des valeurs de liberté et d’égalité, véritable démonstration de la fraternité entre les hommes, pose les jalons pour une résurgence de ces questionnements de classification raciale. Certes, même s’il n’existe pas dans les faits, mais il existe dans la tête et ils portent des énergies utiles à des causes contraires aux fondamentaux des droits et à l’égalité des conditions de la personne humaine, quelle que soit sa race.

De la transposition du mode de domination et de guidance de la gouvernance politique d’Haïti

La crise semble être plus profonde que ce que l’on peut percevoir sous le regard de clichés simplistes de différends entre riches et pauvres haïtiens, bourgeois Pétion-ville et la masses des déshérités, d’ici et d’ailleurs y inclus scission ou déchirement au sein de la classe possédante du pays et j’en passe.  Car, il faut regarder sa domination et sa guidance sous loup et de l’effet transformateur du temps. C’est ce que j’appelle « le processus de transformation de la main visible en main invisible ». 

En fait, les opposants au symbolisme de l’indépendance de la première république noire du monde arrivent à transposer dans le concret le phénomène de la possession d’un individu par un ou des forces surnaturelles et pire encore à la faire danser dans la tête de tout un nombre imposant d’individus dans un ensemble social aussi large qu’Haïti. C’est en fait un phénomène d’installation des déterminants dans environnement social qui vont s’ériger en système, une forme gouvernance automatique, à distance et aussi générant une télépathie à effet négatif et de réflexes favorables à l’excessive probabilité de la réussite des propositions des vraies forces dirigeantes de politique intérieure et extérieure du pays occultés par l’effet du temps.

Je dois faire observer aussi ce processus de transformation de la main visible en main invisible à travers des suppôts réels qui servent comme des pantins à un moyen de transmission de la commande et aussi comme moyen de mise en œuvre de la nouvelle perspective du monde. Elle dépasse davantage la force de frappe de la possession spirituelle classique, ce qu’on appelle les forces et domination spirituelles, y inclus les esprits des Loas dont l’haïtien originel y est intimement lié. En effet, tandis que la possession de l’individu par les forces spirituelles, comme le Loas, par exemple, est temporelle, celle instituée par les dominations humaines sont une possession permanente. Il faut indiquer aussi que le processus de désengagement est aussi plus compliqué dans le second et la renonciation devient quasi impossible sans une compréhension de ses modes et de ses attributs.

Dans les sous-jacents du conflit il y a des enjeux politiques (agenda et perspective par rapport aux prochaines élections), ainsi que des intérêts économiques de tailles. Tout cela fait en sorte que la main du Ciel (terme symbolique) est loin de pouvoir apaiser les heurts, parvenir à une conciliation et, pour le moins, ouvrir la voie aux discussions en perspective d’une résolution pacifique du conflit.

L’agir rationnel de la majorité nationale consciente 

Certains regardent la crise actuelle d’Haïti suivant une perspective négativiste de l’issue de la révolutionne haïtienne de 1804. Des haïtiens, avec qui je me suis entretenu, face aux conditions critiques d’existence du citoyen haïtien, de la pernicieuse déchéance de la praxis politique haïtienne, du bas-fonds dans lequel se trouve la réputation du pays au niveau international se questionnent sur le bien-fondé de l’indépendance acquise par les pères fondateurs de la patrie haïtienne. A mon avis, ce serait idiot de ne pas voir dans la crise des opportunités pour adresser des problèmes de fonds de la société haïtienne.

Quand je porte mon regard sur la tranche d’histoire d’Haïti de 1804 à nos jours, j’observe qu’il n’a jamais eu un congrès entre les haïtiens pour définir le projet haïtien, c’est-à-dire définir ce que l’haïtien voudrait bâtir comme société dans ce pays et établir les plans pour y parvenir. En fait, cela laisse comprendre qu’il n’y aurait aucun projet commun entre les haïtiens de quelque qualification qu’ils soient. Ce qui me porte à penser qu’il y aurait autant de classes sociales que de possibilité de projets haïtiens, pour de pas dire autant de propositions de projet que d’haïtien.

Dans un tel contexte de jeu d’acteurs politiques et économiques, apparemment opposés, mais de mêmes acabits, qu’elle devrait être la position de la majorité silencieuse et intelligente, historiquement héritière de l’indépendance haïtienne ? A mon avis, elle devait faire un effort de démystification de la crise et actionner la crise comme opportunité pour poser les bases d’une action systématique de défense de ses intérêts historiquement disparates des conflits entre les acteurs dominants du système politique et économique. 

De l’interprétation du phénomène « route block / pays lock »

Le phénomène « route block / Pays lock » est une manifestation d’une évolution dans la pensée politique haïtienne, de la conscience du citoyen de sa participation et de son pouvoir décisionnel dans les affaires publiques du pays. Il est aussi le signe d’une petite évolution de la l’appropriation des droits et libertés d’expression, garanties par les conventions internationales relatives au droit de l’homme. Mais, elle est aussi l’expression d’un pays politiquement failli et dirigé par des flibustiers, associés à des mercenaires économiques et politiques incapables de fournir une alternative viable aux problèmes de la misère, du chômage, de l’insécurité, des immondices jonchées dans les différentes artères des grandes villes, etc. C’est à ce niveau que se pose les vrais problèmes de la crise actuelles.

Il faut faire remarquer qu’en dehors des “petro-challengers” et des masses haïtiennes victimes de l’escroquerie de la gouvernance politique et administrative du pays, certains estiment que dans ce conflit s’opposent aussi des corrompus et corrupteurs associés au politique “d’oppo” contre des corrompus. En conséquence, l’enjeu de la crise serait plutôt politique et principalement économique que de fonds de protestations collectives pour un véritable déstructuration d’un système d’exploitation économique anti-peuple pour emprunter l’esprit de la terminologie de Marx, un système d’exploitation contre la masse, épaulé par une classe moyenne réactionnaire et ambitieuse. Le phénomène route block et pays lock peut être lu comme une tentative de démonstration la quête de l’opinion et de l’assentiment populaire sur le fond revendicatif et politique de l’heure. Il s’agit aussi d’une démonstration des rapports de force sous une forme perverse de capacité de mobilisation populaire. Il sous-entend aussi un malaise dans la configuration du système et des systèmes parallèles construits et transformés de 1804 à nos jours, symptomatique d’un problème de coordination et de la gouvernance politique et administrative du pays.

Ce qu’il faut noter, en dehors de l’imbrication des acteurs occultes, ci-dessus mentionnés, les protestations collectives en cours sont une contestation inédite, c’est-à-dire, elle est singulière dans l’histoire du pays pour plusieurs raisons. D’abord, elle est initiée et entretenue par des jeunes, qui restent au contrôle, en dépit des efforts de récupération politique et politiciennes. Ensuite, c’est la première fois, dans ce pays, qu’une affaire de corruption, d’escroquerie au niveau de la gestion des fonds publics fait autant de remous ou point de donner lieu à un mouvement social au niveau interne attaquant des systèmes parallèles aussi anciens que la société haïtienne elle-même. Ce mouvement exige un « dégagisme » des allés du pouvoir politique pour donner lieu à un véritable changement du mode de la gouvernance politique et administrative du pays. Autrefois, l’haïtien revendiquait sa liberté d’expression, contre « koko makak » aujourd’hui c’est une contestation antisystème, qui couvre non seulement les droits fondamentaux inaliénables y inclus les questions de liberté, des droits de l’homme, mais aussi de partage et de la circulation de la richesse dans le pays. Un autre aspect qui rend le contexte particulier est le fait que le politique ne peut pas à lui seule trouver la solution à la crise. Car, contrairement aux contextes politiques précédents, où les politiciens et parti au pouvoir avaient l’aise de trouver des compromis politiques entre eux pour le partage du butin, aujourd’hui, c’est le social, en particulier les jeunes, pour la plupart sans affinités, ni des affiliations politiques qui détiennent les véritables maillets de la solution. Donc, « Tout nèg k ap pare pou al banbile aprè nèg ki o pouvwa yo ta pati, y ap pral bwè gaz ». Enfin, c’est inédit aussi, du fait que les protestations s’inscrivent dans un mouvement mondial, universel de lutte contre la corruption et d’exigence de bonne gestion des avoirs publiques et de la destinée des gouvernés. 

Dans cette perspective, la crise actuelle est une opportunité pour adresser les vrais problèmes de l’instauration de la démocratie dans le pays. C’est bien malheureux qu’on n’ait pas profiter pour initialiser une éducation démocratique à travers le medium, en guise de préparation. Mais, elle ne peut être une opportunité pour les masses des dépossédés héritières de 1804 s’il n’y a pas une véritable conscience de classe des intérêts qui en sont en jeux. Certes, des résultats de la protestation collective sont en passe de réalisation, comme les contradictions qui apparaissent dans le système « peze souse yo enstale depi 1804 la » ; Des acteurs de la crise, de tout bord qui débordent de discours de révolution dans le système. Cependant, le résultat des contradictions qui apparaissent et des promesses de chambardement du système ne sont que conjoncturelles voire, qu’occasionnel. Les systèmes parallèles resteront entiers, tant que leurs fondements ne sont pas attaqués et déracinés à jamais. D’ailleurs, j’ai parlé d’habitus qui se sont installés et qui ont amplifié la donne au fil du temps. Ce ne serait pas un simple changement d’un régime que ces habitus disparaitront. Ces mêmes acteurs de la société économique qui ont financé des hommes politiques, qui ont joué sur plusieurs tableaux, ne l’ont pas fait en raison de leur conviction du bien-fondé des programmes de ces hommes pour les intérêts de la masse. Certainement, ils l’ont fait en raison de leur intérêt. Car, ils n’acceptent pas d’être en dehors de l’arène du pouvoir. « Fò yo anndan pouvwa menm pou yo ka kontinye tete manmèl bèf la. Menm si manmèl la pa gen lèt ankò, nan tete yo kwè y ap jwenn san. Dayè se vanpi yo ye. Y ap santi l pi dous menm ».

La majorité nationale de ce pays doit s’assurer du contrôle jusqu’à la fin de son mouvement protestataire ayant fixé comme résultats : la tenue d’un vrai procès petro-caribe et le changement en profonde de la gouvernance politique et administrative du pays. Comme, la personne de Jovenel Moise n’insuffle pas la confiance pour la tenue d’un tel procès et qu’il n’a pas donné signe de réalisation de ses promesse politiques, il est certain que les vrais protestataires continueront à demander sa démission. Ni de première voie, ni de seconde et pire encore de troisième voie ne garantira pas l’intérêt de la majorité nationale au départ de Mr Moise sans une désagrégation des intérêts des masses de ceux des flibustiers, ces pilleurs de pays qui ne font que « vin pran pou yo ale » comme l’a si bien dit dans Savalou de Zafèm.

A mon avis, la résolution de la crise, passe par l’intégration de tous dans le projet de l’Haïti contemporaine, incluant les héritiers des pères fondateurs de la patrie haïtienne et des nouveaux haïtiens, arabes, juifs, occidentaux, qu’Haïti a chaleureusement accueilli. Ce processus inclusif est peu probable sans une véritable et souveraine conférence nationale haïtienne. En plus, de cela, il faudra une démarche de démystification de la crise haïtienne et adopter la thérapeutique appropriée pour créer ce vivre-ensemble nouveau. Si non, il n’y aura pas de rupture et les systèmes parallèles qu’on indexe de tout part. Le cycle de crise, ses manifestations actuelles, indicatrices du malaise haïtien comme la crise politique de 1991, 2004, les émeutes de la faim de 2008, les mouvances du 6, 7 juillet 2018, les protestations collectives de septembre 2019 à date, perdureront dans le pays.

Quoi changer et comment ?

Nous venons de voir ensemble le tréfonds de la crise haïtienne actuelle. Récapitulons ! La crise est le fait d’une totalité et elle est profonde ; Elle est le résultat des systèmes parallèles initialisés à l’aube de 1804, mais qui se sont intensifiés par des phénomènes de migration de l’extérieur vers l’intérieur. Elle aussi l’expression d’un manque d’imagination politique au niveau interne, en dépit du symbolisme permanent de la révolution haïtienne de 1804. On a aussi apprécié la crise comme une opportunité pour un véritable changement dans le mode de gouvernance politique et administrative du pays. On s’est convenu que ce changement ne s’obtiendra pas sans un esprit de sacrifice, d’une démarche inclusive et participative de tous les acteurs, anciens ou nouveaux, de la communauté haïtienne.

Certes, des passagers clandestins, du politique, traditionnalistes et avares, ainsi que de l’économique « aloufa », tous deux, sans aucun attachement au pays et à son rêve indépendantiste, essaient de se poster en « bèl jwè » afin de récupérer le mouvement revendicatif, juste, de la masse des jeunes de ce pays pour continuer à « souse manmèl bèf la ». Il est, à mon avis, peu probable, qu’il en arrive à leur fin. J’avance plusieurs raisons : (1) La détermination observée ; (2) La discréditation que se sont couverts ceux qui tentent d’émerger comme leader du mouvement et se positionner aux joutes électorales dans le futur ; (3) Le caractère. Démocratique et universel des contestations en cours. Je voudrais faire remarquer que les opportunistes ne s’en rendent pas compte que les contestations actuelles ne pourront pas prendre une forme politique pour gagner les prochaines joutes électorales. Les initiateurs du mouvement avent faire la distinction entre les finalités stratégiques et les approches tactiques. C’est sûr que ce mouvement ne s’arrêtera pas au départ de Mr Moise et qu’il doit ouvrir la voie à l’établissement d’une vraie démocratie dans le pays. Je ne suis pas en train de dire que la démocratie est la voie pour résoudre tous les problèmes sociaux. Car, on a déjà vu ses faiblesses en ce sens. Mais j’estiment, qu’elle offre plus de possibilité de recherche de la liberté et de défense des droits de la personne humaine.

J’estime que les tabous sont tombés et les clichés et les intérêts de la classe politique et économique pour le maintien du statuquo sont démasqués. Ils ont eux aussi la peur d’être jugés, d’aller en prison ou de rendre l’argent publique qu’ils ont pillés et dilapider, aussi bien du petro-caribe que par le contrôle de toutes portes d’entrée des recettes de l’État : Direction générale des Impôts, les ports, les douanes, les frontières, l’ONA et j’en passe. Je prédis que le mouvement contestataire sera viscéral. En ce sens, ces passagers clandestin, faux démocrates, autant mauvais que ceux qu’ils prétendre s’associer pour combattre (zwazo menm plim, menm plimay ), seront rattrapés et ramenés au même piquet afin de rendre des comptes. Je prédis que beaucoup, autant « gagoteurs » des fonds petro-caribé, ONA, contrats d’énergie et autres que ceux qui sont claironnés comme les grands coupables, lesquels qui essaient de se diluer dans les eaux du mouvement protestataire petro-caribé, sont prêts à tout pour se faire épargner de tout procès. Je prédis, comme la majorité des haïtiens un profond tabula-rasa attaquant aussi les autres problèmes de la gouvernance politique du pays qui ne sont pas sur la table des frictions politiques. Il est évident le procès des systèmes parallèles sera d’un symbolisme fort d’un nouveau départ dans le mode de gouvernance politique et administratif du pays.

Il est bon de faire remarquer qu’il y a des subtilités et des volatilités à corriger dans le mouvement contestataire global : (1) Le caractère du mouvement doit demeurer pacifique et civique; (2) Il doit caractère éthique et étique, dénonçant tout ce qui ne cadre pas avec les droits et devoir du citoyen ; (3) Les cas de rançonnage au travers des barricades érigées doivent être dénoncés et réprimés ; (4) Certaines violations de la convention de Vienne (1949) relatives aux crimes de guerre doivent être évitées ; (5) et éviter l’entrainement de certains obstacles à la jouissance pleine et entière des droits et libertés individuels conformément la déclaration universelle des Droits de l’homme, conventions internationales et autres documents juridiques internationaux.

Comme vous avez remarqué, moi je parle de systèmes parallèles comme le problème et de système. Car, à mon avis le discours système est un discours bafoué, d’autant plus que la demande « qu’il faut changer le système » est un slogan flou. Car, ce sont plutôt des systèmes parallèles, illégaux, frauduleux et mafieux institués par les acteurs économiques, mais aussi la manière d’être et de faire de nos dirigent politiques qui empêchent le pays de fonctionner et de délivrer des résultats, apportant un minimum de bien-être des communautés haïtiennes. En affirmant qu’il faut changer le système c’aurait accepté l’échec total de la révolution haïtienne de 1804 de dire que le pays est vide, en termes de dispositions légales établissant les directives d’opérationnalisation de la gouvernance politique et administrative du pays garantissant un minimum de bien-être des sujets de cette gouvernance. Or, il n’en n’est pas question. Haïti est parmi les pays ayant les meilleures dispositions juridiques en matière d’organisation politique et administrative d’un pays. Le problème est plutôt au niveau de l’application de ces dispositifs existant et des manières de le contourner instituées par des gens qui n’ont aucune attache au rêve de la révolution haïtienne de 1804, d’une part et des mercenaires politiques qui ne cherchent qu’à assouvir leur poche et satisfaire leur bas instinct, d’autre part. A côté de cela, il y a distorsion mentale et la nouvelle perception haïtienne qui se sont, progressivement, qui elles aussi ont facilité l’assise de ce système parallèle illégal, antinational et frauduleux de l’économique, ainsi que le dirigisme mafieux du politique.

A mon avis, il faut poser le problème convenablement, déterminer le changement voulu, qui sera la fin des systèmes parallèles, des États dans l’ETAT et du dirigisme politique « poupe twèl » et pire encore importée. Puis, il faudra théoriser ce changement, définir sa méthode, déterminer ses contenus et ingrédients, mais aussi s’accorder et communiquer sur un calendrier pour y parvenir et son système d’évaluation périodique indépendante. Sinon, les irritations reprendront le debout, ainsi que la réalité « pa ka tann ankò » et compliqueront l’arrivée du changement souhaité en ramenant le cercle vicieux d’instabilité dans le pays. En conséquence, le rêve de contrer les systèmes parallèles illégaux, antinationaux et frauduleux de l’économique, ainsi que le dirigisme mafieux du politique en Haïti ne resteraient que des vœux pieux.

Au terminus

Les systèmes parallèles sont les problèmes fondamentaux à résoudre pour mettre fin à l’insoutenable descente aux enfers de la condition haïtienne et de sa démocratie. La bataille doit aboutir à l’inclusion de tous les fils et filles du pays dans la vie sociale, spirituelle et économique du pays. Que cette bataille puisse, enfin changer la condition ségrégationniste de la société haïtienne comme : Une école à deux vitesses, l’une pour les pauvres et l’autre pour les fortunés ; Une économie d’exclusion : mettant de manière permanente en conflit les pauvres et les riches ; Une justice discriminatrice : Une justice punitive pour les pauvres et une autre permissive pour les riches ; … etc. Que le système soit le système de tous et pour tous ! Pour cela, il ne faut plus jamais accepter que des individus ou des groupes d’individus deviennent les maitres, gardiens ou califes du système par le financement des élections d’individus qui, conséquemment, leur confèrent des privilèges au détriment de la majorité nationale. 

Eu égard à mes questions de départ, j’affirme qu’il est possible de profiter de cette présente crise pour poser les jalons d’une rupture avec des habitus économiques de prédation, des modes de mystification de l’autre et des manières de composition cyniques de la classe politique, du comportement réactionnaire de la classe intellectuelle et d’une frange de la masse haïtienne.  J’hypothèse que le cycle permanent de violence en Haïti, semble être symptomatique des séquelles esclavagistes, des problèmes émotionnels générés, jamais identifiés ou guéris qui seraient les prédispositions au déclic de heurts et déchirements internes. Enfin, je soutien que la crise actuelle est une opportunité pour assurer une refondation des bases de la gouvernance politique et administrative du pays.

Jean Laforest Visene de Lyvia Tulcé | visenejl@gmail.com
LTVJL
L’homme de Vilou,
Assis sous la grande roche de BasenKap
A mi-parcours du long de la rive droite de la rivière de Cavaillon