vendredi 4 février 2011

Haïti: CONDITION RURALE EN HAÏTI : QUESTIONNEMENT ET STRATEGIE DE CHANGEMENT

In Le quotidien Le nouvelliste, fondé en 1898
Rubrique : Société            Date : 17 septembre 2004


Haïti: CONDITION RURALE - QUESTIONNEMENT ET STRATEGIE DE CHANGEMENT


Par Jean Laforest VISENE

« Condition rurale en Haïti : Questionnement et stratégie de changement », telle est le titre d'un travail de recherche universitaire, présenté récemment à la Faculté d'Ethnologie de l'UEH, par un étudiant du Département des sciences du Développement qui lui a valu le grade de maître dans cette discipline scientifique. Ce travail de 244 pages, qui questionne la condition rurale en Haïti et qui cherche à proposer une stratégie de changement, rentre dans le champ de la sociologie rurale et celui du développement rural.

Pourquoi la plupart des projets de développement rural n'ont pas abouti à de bons résultats ? Les écueils enregistrés, dans ces projets, sont-ils liés à un problème de démarche ou de conditionnement de l'action. S'il s'agit d'un problème de démarche, que pourrait-on envisager et même privilégié pour assurer la réussite et la durabilité des effets positifs des projets ruraux de développement ? Voilà autant de questions pertinentes auxquelles ce travail essaie d'apporter des réponses du même ordre et que nous profitons de cet espace médiatique pour livrer aux lecteurs un condensé. D'autant plus que l'auteur reconnaît que des efforts ont été déployés dans beaucoup de régions pour améliorer la condition d'existence des ruraux mais, au lieu d'améliorer les conditions des populations - cibles, certains projets les ont plutôt entraînés dans un cercle vicieux du sous-développement.

Le rapport de cette recherche est divisé en deux parties. La première : « Implication méthodologique » est subdivisée en deux chapitres et la deuxième partie : « La condition rurale en Haïti » en trois. Dans la première partie le chercheur a présenté le cadre méthodologique du travail. Au niveau de la deuxième partie, il s'est évertué à montrer que la condition rurale en Haïti est le résultat d'une coopération technique au développement bafouée et que la démarche qu'il faudrait adopter pour améliorer les conditions d'existence des ruraux du pays serait celle du développement rural intégré. Il a montré que le développement rural, en particulier agricole, en Haïti est bafoué par le fait qu'aucune démarche adéquate n'a été définie pour y parvenir. Il aboutit à cette conclusion : Le renversement des conditions d'existence difficiles des paysans haïtiens nécessite une intervention coordonnée et intégrée. Voyons le profil des différents chapitres de cette recherche.

Chapitre premier.- Cadre du travail

Dans ce chapitre l'universitaire expose la problématique, le domaine de la recherche et la revue de la littérature. Après l'exposé du problème, il présente le point de vue de certains auteurs qui ont réfléchi sur la condition paysanne en Haïti. Il note que les différents auteurs ont surtout insisté sur les problèmes qui secouent l'agriculture haïtienne. En ce qui concerne cette activité, ils admettent que l'agriculteur haïtien, généralement, poursuit deux objectifs :
- Produire pour la subsistance familiale ;
- Trouver un surplus lui garantissant un certain revenu en espèce.

Au niveau de cette revue de la littérature on a pu déceler que les divers auteurs reconnaissent que, sont parmi les principales causes de la condition rurale et agricole en Haïti :
- L'archaïsme technologique ;
- Des pratiques agricoles primitives ;
- Le mode de tenure de la terre, caractérisé par la dispersion des lopins de terre et la fragilité des titres de propriété ;
- Des conditions climatiques défavorables et des intempéries ;
- La stérilité de certaines terres ;
- L'exode rural massif ;
- Le manque d'encadrement ;
- Et enfin, une mauvaise orientation des activités de coopération avec le milieu rural.

Chapitre II. - Cadre théorique et conceptuel

Dans ce chapitre sont exposés les objectifs, les hypothèses travail, les théories et la définition de quelques concepts, les méthodes et techniques de recherche, la méthode de traitement et d'analyse des données

Le cadre théorique expose le point de vue de plusieurs théoriciens qui, pour la plupart ont développé des théories spécifiques au développement et/ou sous-développement, dont quatre d'entre elles sont des théories ou des approches de développement régional. On dresse également une typologie de l'agriculture sous - développée dans une perspective traditionnelle. Dans le cadre conceptuel se trouve la définition opérationnelle de divers concepts utilisés dans ce travail.

Les hypothèses principales, au nombre de deux, ont été ainsi formulées :
- L'inexistence d'un plan national de développement rural est la cause principale de l'échec des projets ruraux de développement en Haïti.
- La démarche du développement rural intégré répond mieux à une nécessité pour parvenir à l'amélioration de la condition rurale en Haïti.

Pour parvenir à la vérification de ces hypothèses l'auteur a mis un ancrage spécial sur des considérations agricoles. Car, il est évident que l'agriculture reste jusqu'à présent l'activité économique la plus importante en milieu rural haïtien. Pour cela, il a conçu des propositions hypothétiques se rapportant aux caractéristiques des agriculteurs haïtiens. Ces caractéristiques ont été vérifiées au niveau d'une localité agricole et renforcées par des recherches documentaires. Le chercheur a retenu comme variable : le niveau d'instruction, l'encadrement reçu, la motivation pour l'acquisition du savoir scientifique et technique de l'agriculture durable, le revenu annuel, le mode de possession de la terre, le mode de répartition des exploitations, l'étendue des exploitations et enfin, l'orientation et / ou utilisation des fonds de coopération destinés au développement du milieu rural haïtien.

Pour réaliser ce travail le chercheur a procédé à des recherches documentaires, des enquêtes de terrain et également à des observations directes et indirectes.

Chapitre
III. - Conditions de vie, en particulier agricole, en milieu rural haïtien : Le cas de Vilou

Ce chapitre présente les conditions de vie dans une communauté rurale. On y relate le cadre physique et socio - économique de la zone, les activités socio - sanitaires et socio-éducatives, ainsi que les caractéristiques de ses agriculteurs. On présente également un modèle de vérification des propositions secondaires. L'analyse des données de l'enquête de terrain qui a permis de comprendre qu'aucune démarche n'a été définie pour résoudre les problèmes du milieu. Si tel n'était pas le cas, croit le chercheur, l'activité principale du paysan de Vilou aurait pu lui permettre de mener une vie meilleure. L'absence d'une démarche et d'encadrement a fait de son activité un fardeau pour lui.

Chapitre IV. - La condition rurale et agricole en Haïti : Résultat d'une
coopération technique au développement bafouée

Au niveau de ce chapitre, l'universitaire produit des remarques sur les conditions d'existence des ruraux haïtiens. Précisons que l'auteur ne fait que présenter que les difficiles conditions matérielles d'existence du paysan haïtien qui ont trait à la terre, à la pauvreté, à la production agricole, aux conditions sanitaires, à l'éducation formelle et non formelle et au phénomène migratoire. Il jette son regard sur certaines considérations qui ont amené non seulement à la conception du développement rural, mais aussi à l'application de ses différentes démarches dans beaucoup de pays.

Après avoir présenté les différents niveaux de pauvreté observés dans le milieu rural haïtien et essayé de dégager ses différentes causes, l'auteur analyse quelques projets de développement rural en Haïti. Son regard s'est porté sur le projet pilote de Marbial, le projet d'Extension Agricole qui fût institué par le Service Coopératif Inter-Américain de Production agricole (SICPA), le Poté-colé programme, de la « Haytian American Development Organisation » (HADO), le projet coopératif de la Plaine du Cul-de-sac, le Projet de Développement régional Intégré de Petit-Goâve à Petit-Trou-de-Nippes (D.R.I.P.P.) et le projet de Cacao de MEDA. Dans cette analyse il s'est évertué à questionner le pourquoi des résultats difficiles ou l'échec complet dans la réalisation de ces projets. Quel est le poids de la corruption, de la dilapidation des fonds et du clientélisme dans ces résultats ? S'agit-il d'une résistance psychologique du paysan haïtien non propice au développement ou du mode de parachutage des projets ? Toutes ces judicieuses questions sont abordées dans ce chapitre.

Chapitre V. - L'amélioration de la condition rurale en Haïti et le
développement rural intégré
Dans ce dernier chapitre après avoir analysé les données empiriques et porté son regard sur l'organisation du travail en milieu paysan et l'encadrement fourni aux résidents de ce milieu, l'impétrant fait valoir que la condition agricole en Haïti est handicapée de toute pièce et tournée vers le passéisme. Cette situation, estime-t-il contribue à empirer les conditions de vie dans le milieu rural haïtien. Comment intervenir pour redresser cette situation ? Cette question constitue le pivot de ce chapitre. Après avoir fait des considérations d'ordre interne, d'une part, tiré des conclusions sur les différents projets qui ont été réalisés dans le milieu rural haïtien, d'autre part, le chercheur présente la démarche du développement rural intégré comme la panacée. Après l'avoir défini, considéré son avènement, ses objectifs et sa stratégie, il considère les règles méthodologiques de cette démarche, ses principes moteurs d'intervention, ses facteurs d'échec, et enfin ses avantages et ses limites.


Conclusion
Au cours de ce travail, il a été démontré que le milieu rural haïtien connaît d'énormes difficultés qui, vraisemblablement, constitueraient un cercle vicieux pour son développement. Il a été prouvé que bon nombre de ruraux ne disposent pas de ressources nécessaires pour satisfaire leurs besoins. N'était-il pas opportun d'avoir cherché les moyens en vue du redressement de cette situation indésirable ? Certainement ! Ce travail tout au moins suscite une nouvelle réflexion sur les conditions de vie des ruraux haïtiens. Conscients de la gravité de la situation, l'universitaire propose l'application de la démarche du développement rural intégré pour intervenir en milieu rural en Haïti. Alors, que cherchera à faire l'application de la démarche pour éradiquer la pauvreté en milieu rural haïtien ?

L'impétrant a, par ailleurs, fait ces recommandations :
- Harmoniser les programmes et les politiques de développement avec les véritables besoins des ruraux;
- Impliquer et/ou rendre autonome ces derniers dans la prise de la décision d'intervenir, dans l'élaboration et l'exécution des projets de développement local ;
- Augmenter le volume de l'aide au développement du milieu rural; orienter l'aide vers des industries de transformation des produits locaux;
- Donner aux paysans l'accès à des crédits de production, en espèce ou en nature. A ce niveau, le chercheur précise qu'il faut développer dans la paysannerie haïtienne une mentalité propice au crédit. Car le paysan, dit-il, semblerait être méfiant vis-à-vis des structures financières formelles.

Dans la même ligne d'action pour améliorer les conditions d'existence en milieu rural, on suggère également qu'il faut :
- Faciliter l'accès des produits ruraux aux marchés internes et externes; S'assurer que l'aide alimentaire ne détruira pas la production matérielle et spirituelle locale. En ce sens, l'aide doit être située dans une perspective de complémentarité de la demande locale en matière de produits alimentaire;
- Considérer le milieu comme un tout indissociable.

Convaincu que le « mal développement » fonctionne comme un cercle vicieux, le chercheur croit qu'il faudrait que les actions soient concordantes et soient menées en temps opportun dans les domaines de la santé ; de l'éducation ; de l'harmonisation de la question genre et développement, ce qui implique l'égalité des chances pour les deux sexes de donner leur participation ; la protection de l'environnement ; de l'aménagement du territoire ; de la promotion de l'artisanat ; de l'organisation du tourisme rural. Il est également souhaité qu'un programme de contrôle entre population et ressources disponibles soit envisagé. Ce qui implique que, le contrôle des naissances et des décès est nécessaire dans le cadre de l'application de la démarche du développement rural intégré.

Au terme d'un véritable chantier de développement rural intégré, espère l'universitaire, on devrait noter dans le milieu rural haïtien trois points principaux: Durabilité, Équité, Compétitivité.

La durabilité, d'après lui, implique la continuité et la multiplication progressive des effets positifs de l'action d'intervenir. Dans ce cadre, la productivité marche de paire avec maintenance des ressources. En ce sens, l'action ne doit pas nuire à l'environnement écologique pour que les générations futures puissent survivre et se développer de manière adéquate. L'hypothèque du destin des générations futures est exclue.

L'équité suppose la création et la consolidation d'organisations de la société civile dans lesquelles sont créées les conditions égalitaires entre les divers agents impliqués dans le processus de production. Ces institutions favorisent la création de possibilités, le développement des compétences et le respect des droits de tous.

La compétitivité peut être vue à deux niveaux : National et international. Elle pourrait être entretenue et obtenue par la consolidation de complexe et de consortium agroalimentaire créés par des coopératives paysannes ainsi que la reconversion des entreprises et unités de production des petits et moyens producteurs. Un autre aspect pour parvenir à cette compétitivité est l'élévation de la qualité des produits et la coordination des structures de transformation et de commercialisation.

Les responsables, croit l'auteur, doivent définir une stratégie d'ensemble pour combattre la compétitivité déloyale entre les produits locaux et ceux qui proviennent de l'extérieur particulièrement des grandes entreprises agricoles occidentales pour la plupart subventionnées par leur gouvernement. Car cette compétitivité déloyale, estime-t-il, a toujours constitué un grand handicap à la productivité locale. Malgré la mondialisation, l'État et les organisations de la société civile doivent protéger les producteurs locaux et faciliter la circulation de la production artisanale et agricole locale.

Le chercheur dit espérer que ce travail pourra en premier lieu, alimenter le débat sur les stratégies à envisager pour le développement rural en Haïti et, éclairer la lanterne de la communauté universitaire sur des aspects du développement rural jusque-là obscurs ;.Ensuite, contribuer à orienter les responsables politiques et les autres acteurs dans leurs actions de développement en les fournissant des pistes d'intervention pour parvenir à la satisfaction des besoins essentiels des ruraux et en particulier pour enclencher une véritable réforme agraire dans les différentes régions agricoles du pays comme le souhaiterait la constitution du 29 mars 1987 en ses articles 247 et 249. Et qui fait valoir, d'ailleurs, son article premier, qu' « Haïti est une république coopératiste », garantissant, ainsi, les droits inaliénables de développement de la personne et des collectivités. Pourquoi ne pas envisager une telle démarche qui pourrait au moins garantir l'accès à l'eau potable, aux soins de santé, au pain de l'instruction, à un logement décent et particulièrement à l'alimentation ?

Cependant, comment concilier la démarche du développement rural intégré avec les objectifs macro-économiques du pays ? Voilà une autre question autant pertinente que celles abordées dans cette recherche que l'universitaire croit qui mériterait d'être élucidé.

Jean Laforest VISENE
Professeur à l'UEH
Coordonnateur général du
COLLECTIF EDUCA-DEV (COED)
http: // www.educadev.8k.com

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