Utilité de la Sociologie
Par Jean Laforest Visené MA.-
« Si le sociologue peut contribuer à éclairer le prince à l’aider à
mieux formuler les problèmes qui le concernent, il n’a pas à prendre des
décisions à sa place ». Cette citation cadre bien l’utilité de la
sociologie en tant que science positive revêtue aussi de caractéristique des
sciences nomothétiques. Comme le dit le sociologue Henri Lévy-Bruhl, disant : «
Il importe de maintenir une distinction nécessaire entre la science et ses
applications» on estime que les efforts intellectuels dépensés dans toutes les
branches du savoir de la sociologie ne devait pas être jugé sur la base de leur
exploitation servile par les décideurs politique.
Il est vrai que si la science ne devait pas aboutir à une amélioration de
la condition humaine, il ne vaudrait même pas une heure de peine. Mais ce n’est
pas une raison de lapider les des sciences à perspectives pacifiques vis-à-vis
des réalités qu’elles étudient, estimant qu’éthiquement ce n’est de leur
finalité de prescrire des recettes de modification de leurs objets d’étude.
C'est dans cette incompréhension que de la logique d’intervention que Robert
Castel se demandait : « à quoi ça sert la sociologie ? ».
Toutefois, il a
reconnu que l'idée de répondre à une demande sociale peut conduire le
sociologue à transiger avec l'exigence d'objectivité en se laissant guider dans
ses recherches par les demandeurs. Soulignons que la sociologie est à
la fois une discipline intellectuelle dans son caractère de recherche
fondamentale et une discipline utilitaire dans son caractère de recherche appliquée.
Dans sa perspective de recherche fondamentale les sociologues cherchent
uniquement à enrichir les outils et instrument pour parvenir à l’explication
sociologique ce qui a pour finalité la recherche de l’harmonisation des démarches
d’explication de la discipline et aussi confère un statu de reproductibilité de
l’expérimentation. Elle l'est aussi par le fait qu'il y a une manière de
collecter les données, de raisonner, d'argumenter, d'analyser et d'interpréter
les informations pour que les résultats soient acceptés comme tels. Elle est,
par contre, une profession / métier du fait que le spécialiste de la sociologie
peut vendre ses compétences à des tiers.
Dans le premier cas, il s'agit de recherche fondamentale, alors que dans le
second cas c'est de la recherche commanditée. Il faut donc distinguer les
papiers de l'intellectuel sociologue de celui de l'expert sociologue. Tandis
que le premier produit un jugement d'observateur, le second produit un jugement
de prescripteur basé sur des valeurs référentielles et marchandes. Il faut
préciser que l'expert sociologue, en dépit du fait qu'il est subordonné par ses
commanditaires / patrons, n'est pas contraint pour autant de produire de
jugements de valeurs. Cependant, il n'est pas, non plus, obligé d'avoir une
distance axiologique dans son travail.
Jenny Alain a attiré l'attention sur les liaisons dangereuses entre la
Science et la Politique. Cette liaison est dangereuse par le fait qu'elles
relèvent de genres différents car la recherche de la vérité s'oppose aux fins
poursuivies par le politique et les méthodes sont divergentes. Antoine Tine ,
pour sa part, dans une étude portant sur le multipartisme au Sénégal a montré
comment le discours scientifique peut être bafoué par le fait que des
chercheurs n'ont pas pu contenir leur préjugé idéologique. Leur évaluation
reste superficielle, peu objective, manquant de distance axiologique.
En faisant de la sociologie un terrain de bataille politique, d'activisme
social, le risque est évident que le discours livré pourrait être simplement
des positions idéologiques, des convictions. Quand il est engagé comme expert professionnel, la liberté intellectuelle du
sociologue est hypothéquée et il doit produire un discours qui aille dans le
sens du bénéfice de ses commanditaires. Il exerce, certes, un magistère fondé
sur le savoir, mais il produit des faits normatifs, des qualifications et des
déqualifications qui ont un statut de droit. Le discours de la vraie sociologie
est celui du savant sociologue qui fait de la recherche fondamentale donc,
uniquement pour l'avancement de la discipline.
Il est, certes, compréhensible que le principe de neutralité axiologique
donne l'opportunité de qualifier la sociologie de science réfractaire,
insouciante et même d’un produit doctrinal au service des classes dominantes,
de l'idéologie impérialistes et des forces répressives qui entretiennent les
conditions d'exploitation des masses.
Cependant, il faut qu'on dise que la recherche sociologique met aussi en
évidence l'injustice dans la société. Cependant, en tant que science positive,
elle ne la condamne pas, ne prend pas, non plus, de position au côté des
victimes et n'ose pas, péremptoirement, proposer de recettes pour attaquer les
maux sociaux. Ces perceptions de la sociologie, comme une science complice,
sont des clichés idéologiques et la science doit les dépasser. Force est de
faire valoir cette position méthodologique d'Auguste Comte qui précise qu'il
revient au sociologue de découvrir par une observation neutre sans admirer ni
maudire son objet d'étude.
Cette position de neutralité axiologique n'est pas pour autant complice de
quoique ce soit. D'ailleurs comme l'explique Bourdieu, on ne peut pas tenir
pour nul le message de la sociologie qui, en réalité, met à découvert le cycle
des maux sociaux : problème, cause, effet, mutation / évolution. L'auteur précise
qu'on ne peut pas ignorer « l'efficacité du message sociologique ». Il permet,
d'après lui, à ceux qui souffrent de découvrir la possibilité d'imputer leur
souffrance à des causes sociales. Par ailleurs, il faut noter qu'il revient aux
décideurs politiques, aux activistes sociaux, à partir de l'évidence des faits
présentés par la recherche sociologique de prendre les dispositions pour
corriger les écarts constatés. Comme le pensait Lenine et Gramsci : « Rien
n'est plus révolutionnaire que la vérité ». Dans ce cadre-là, le savant
sociologue obéit lui aussi au principe de responsabilité sociale du chercheur.
Le rôle du sociologue est de faire le tri dans les mots, distinguant les
attributs qui demandent à être écartés en raison d'une équivocité interne et ceux
qui méritent d'être utilisés, moyennant parfois quelques précautions. Or toute
sélection de traits pertinents enferme des présupposés théoriques : elle
pose une distinction entre ce qui compte vraiment et ce qui ne compte pas,
entre ce qui existe vraiment et ce qui n'existe pas, ou seulement de façon
apparente.
Sociologue, MA Sc. Dev.
Professeur à l'Université d'Etat d'Haïti
Sociologue, M.A. Sciences du Développement
Email: visenejl@gmail.com
http://www.visenejl.blogspot.com