jeudi 2 février 2017

Du déroutage de la sociologie


Du déroutage de la sociologie

.- Par Jean Laforest Visene

            Aujourd’hui, la sociologie est devenue méconnaissable par l’imposture qui l’envahie et la déstabilise. Tout le monde s’autorise à produire un discours sociologique. En fait, tout le monde en produit. Si non, la normativité du vivre-ensemble nous serait inconnue et/ou mystérieuse. Ce qui fait problème est que, comme dans un spectacle de stars-mania, l’interlocuteur bénéficiant d’une vitrine, se poste comme sociologue, et essai d’émettre un discours intentionnellement construit à cet effet. D’un coup, son discours détrône Auguste Comte (1798-1857), Emile Durkheim (1858-1917) et Max Weber (1864-1960) et bien d’autres fondateurs de la sociologie. Pourtant ce sont ces derniers qui ont posé les balises de l’exercice de la discipline.

Nous n’avons pas la prétention de déconstruire, ici, les discours des faussaires sociologues, ni d’excuser les praticiens de la discipline. Mais, nos propos s’inscrivent dans le sillage d’un débat public sur l’ambition scientifique d’antan de la sociologie et son devenir. Ainsi, construit c’est-à-dire dans une perspective de militantisme fondamentale de la sociologie, ce papier vise à propulser dans l’opinion, une réflexivité tant sur la pratique actuelle de la sociologie que sur les discours édictés en son nom. Tandis que l’ambition de la sociologie était de rompre définitivement avec l’explication du réel social suivant une perspective métaphasique[1], ce type discours, que nous dénonçons, amène la discipline sur un autre terrain plus futile : Celui de la médiocratie. Etre un refus de la métaphasique et mettre en exergue les rapports constant qui existe entre les phénomènes observés, tel était et est encore le niveau de standard préconisé par la sociologie.

Comment est-on arrivé là ? Quelle est l’erreur qui serait à base de cet écart constaté ? Que faire pour stopper les dérives dans le postage de la discipline à travers les tribunes ? Telles sont les questions fondamentales auxquelles notre papier tend à apporter une réponse.


1.      Hypothéser le déroutage de la sociologie

Il est une obligation pour la sociologie de mettre en œuvre des processus de recherches afin d’arriver à la formulation d’énoncée et de théories explicatives, l’élaboration de système conceptuel (Jargon/discours), mise en évidence de faits et phénomènes sociaux. Tel est le but réel de la sociologie comme discipline autonome des sciences humaines et/ou sociales. Force est de constater que la sociologie est postée autrement dans les pratiques intellectuelles, les usages académiques et l’exploitation administrative de la discipline. En effet, tout comme d’autres disciplines de sa famille, la sociologie est victime de pressions sociales qui lui formulent des demandes dont à l’origine elle n’avait pas la prétention de satisfaire.

On est passé de la sociologie comme l’étude scientifique des formes d’association humaine, bref, du vivre-ensemble, à une forme de « zophologie », à mon avis, qui est,  certes, un discours sur le social, mais, qui n’a rien à voir avec aucune exercice de sciences sociales, voire de la sociologie en tant que telle. Le genre observé s’apparenterait plutôt à une variante de la philosophie, de la logique ou du gros bon sens. Contrairement à la sociologie scientifique, qui une science complète, avec des démarches et des méthodes précises, des cadres expérimentaux reproductibles, des concepts reconnus par les collectifs de sociologie, la zophologie est un discours formaté, parfois à l’improviste et d’une manière générale qui ne suit pas de règle de l’art scientifique. Si le sociologue est un scientifique, le zophologue pourrait être à la rigueur un « causeur » d’acabit romanesque[2] et dans la plupart des cas de très mauvais « hâbleur ».

L’occupation des zophologues de beaucoup d’avenues des « mass-médias », des appareils de la communication massive depuis un certain temps porte atteinte au prestige de la sociologie et déroute un peu le discours et la pratique de cette discipline. On peut dire qu’elle obscurcit la valeur de la sociologie et affecte sa pratique et son autorité. Malheureusement, même le zophologue se fait passé pour un sociologue. En plus, même les directeurs d’opinion tendent à les identifier comme tel. Comme Bachelard (in le Rationalisme appliqué, 1949), on dirait que « la culture scientifique est hélas livrée au jugement de ceux qui n’ont jamais fait le moindre effort pour l’acquérir ».

Pour comprendre l’effet de déroutage de la zophologie sur la sociologie, les dérivent qui s’en suivent, nous présentons ici la posture fondamentale de la sociologie en termes de sa finalité / sa mission et manière d’être dans le concert de la science. Nous nous limiterons à présenter la vision du principal père fondateur de la discipline à savoir Auguste  Comte. Certes, la vision de ses deux principaux assesseurs : Emile Durkheim et Max Weber sont aussi importantes pour dans le cadre de cet exercice. Mais, en raison de suffisance de la matière dans la vision de Comte, nous nous abstiendrons à lui. 
 

2.      Des définitions de la sociologie notifiant la posture de la discipline

Le père fondateur de la sociologie, Auguste Comte, a fourni la première définition sans ambigüité à la discipline, qu’il appelle au  départ « physique sociale »[3]. « J'entends par physique sociale, écrit-il, la science qui a pour objet propre l'étude des phénomènes sociaux, considérés dans le même esprit que les phénomènes astronomiques, physiques, chimiques et physiologiques, c'est-à-dire assujettis à des lois naturelles invariables, dont la découverte est le but spécial de ses recherches[4] ». En plus de fournir une indication claire de l’objet de la sociologie, de ce qu’elle devait être, cette définition établit aussi la posture méthodologique de cette science.

Le terme physique sociale indique l’intention parfaitement claire d’aborder les phénomènes sociaux de manière objective vigilante[5]. Le traitement de l’objet de la sociologie, dans la perspective comtienne, n’est pas distinct de celui des sciences de la nature. Au contraire, il est étroite continuation avec lui, avec une nécessité d’adaptation[6]. Car, estime-il, les phénomènes sociaux sont aussi des phénomènes naturelles. Car pour Comte, la sociologie est aussi une science naturelle au même titre que les autres. Sauf, qu’elle est plus complexe que les autres, en raison de la nature d’une « Psycho-amphibologique » extraordinaire de son objet[7] 

La société est composée de familles, comprenant des individus, êtres à la fois biologiques et spirituels, c’est-à-dire, doués de capacité de raisonnement. Ils sont aussi conditionnés par des facteurs environnementaux d’une extrême importance pour la saisie des phénomènes sociaux. Les domaines de la psyché, de la culture et de la nature, sont essentiellement les paliers de la complexité des phénomènes observés par la sociologie et qui ont pour effet la difficulté du praticien de la sociologie pour parvenir à une explication d’une totale exactitude. Notons que chaque individu social est en fait une totalité : Il a un corps (biologie) un caractère qui lui est propre (Psyché), une histoire (individuelle et collective), appartient à une famille et d’autres formes d’association  (liens forts / liens faibles, société). 

Attirons aussi l’attention sur une autre définition que Comte a donnée à la discipline, dans son 47ème cours de philosophie positive : « L’étude positive de l’ensemble des lois fondamentales propres aux phénomènes sociaux[8] ». Notons qu’en définissant la sociologie comme une étude positive et bien avant comme physique sociale, Comte lui confère non seulement la démarche des sciences de la nature mais aussi lui impose une démarche similaire appropriée à l’objet d’étude de la sociologie. En tant qu’étude positive, comme les sciences de la nature elle doit dégager des lois. 

            On retient des définitions, ci-dessus, d’Auguste Comte qu’un discours sociologique doit résulter de modes opératoires appropriés à la nature tant de l’objet de la sociologie que des composantes du phénomène sur lequel porte le discours.
 

3.      De la démarche préconisée par le père fondateur

Auguste Comte fut le premier à doter à la sociologie d’un objet d’étude, ses premiers cadres théoriques et d’une méthodologie pour appréhender les faits et phénomènes sociaux qui lui intéresse.  

En effet, dans son catéchisme positiviste[9] (1852) il fait deux divisions de la philosophie positive, ou Connaissance systématique de l'humanité : Une division dogmatique et une division historique. La sociologie a, ici, la stature d’étude directe de l’ordre humain collectif. Dans le rangement général se trouve par ordre suivant la complexité : La mathématique, la physique (Astronomie, terrestre-physique générale et chimie) la biologie, la sociologie et la morale. En dépit du fait du rangement de la sociologie au côté de ces disciplines, Comte n’entend pas pour autant appliquer de manière stricte la méthode de ces disciplines au domaine de la sociologie. Elle n’est qu’un modèle de référence. Car, estime-t-il, il n’y a point un modèle unique du savoir positif[10] et aussi que la science de la statique de la dynamique sociale est en continuation des sciences qui l’ont précédé. Par conséquent elle est plus complexe qu’elles. 

Au lieu de s’attacher à la tradition, la science nouvelle ne se fie plus qu’au raisonnement triplé de l’observation, la comparaison et l’expérimentation, justement combinés comme les seuls moyens légitimes d’acquérir le savoir. Le discours sociologique devait être fondé non sur des spéculations a priori, sur des idées toutes faites, mais sur l’observation qui constitue la seule base de la connaissance humaine et devra aboutir à l’énonciation de lois : Observation des faits, comparaison et/ou expérimentation, établissement, a posteriori, de lois ou de théories explicatives, telle est le fil conducteur de l’énonciation explicative des faits et des phénomènes sociaux ou humains collectifs. Partant de ce processus, établit sur le principe du positivisme, on réaffirme qu’il n’y a pas de connaissance réelle sans l’observation rigoureuse des faits et de l’expérimentation scientifique.

Par ailleurs, la conception évolutionniste de Comte avec l’énoncée de la loi d’évolution des sociétés humaines et du progrès de l’esprit humain, à savoir la loi des trois états : Un stade fictif ou théologique, un stade  abstrait ou métaphysique et un stade positif ou scientifique, donne à l’histoire une place prépondérante dans l’analyse des faits et des phénomènes de société[11]. D’où le principe de la relativité des lois sociales énoncées en comparaison à celles des sciences de la nature. Comme le dit Gaston Bouthoul : Que ces phénomènes soient observés simultanément ou successivement, que nous les relions par la similitude ou la filiation, nous ne devons jamais avoir en vue la recherche des causes absolues  ou la nature intime des choses[12] ».

La recherche au hasard, d’après Comte, doit être écartée dans la pratique de la sociologie. Car, écrit-il, dans sa 1ère leçon de philosophie positive : « Si on contemplait les phénomènes nous ne les rattachons point immédiatement à quelques principes, non seulement il nous serait impossible de combiner ces observations isolées, et, par conséquent, d’en tirer aucun fruit, mais nous serions entièrement incapable de les retenir ; et plus souvent les faits restent entièrement inaperçus sous nos yeux ».

Enfin signalons que Comte confère à la sociologie la démarche hypothético-inductive comme celle privilégiée pour aborder les faits et les phénomènes qu’elle apprécie. Contrairement aux philosophes des lumières qui pratiquaient la forme de philosophie spéculative, consistant à l’énonciation de propositions sans les avoir préalablement confrontées aux faits, Comte estime que c’est tout à fait le contraire qui devait être pratiquer par la sociologie en tant que science positive. Cette démarche hypothético-inductive se définit comme « Une démarche scientifique qui part des fait pour parvenir à l’élaboration théorique. Elle s’oppose à la démarche hypothético-déductive, qui à l’inverse, des systèmes théoriques que l’on vérifie dans les faits[13] ».

            On retient que depuis sa fondation par Comte, il a été institué une démarche claire d’appréhension des faits et des phénomènes sociaux qui constituent l’objet de curiosité scientifique de la sociologie. En dehors des modes opératoires admis par la sociologie, on ne peut pas prétendre parvenir à une compréhension et explication des faits et des phénomènes sociaux au point de pourvoir produire un discours sociologique sur eux.
 

4.      De l’attitude du praticien de la sociologie face à son objet d’étude
 
Auguste Comte a insisté sur la question de l’attitude de neutralité que le sociologue doit avoir face à son objet d’étude ou du moins vis-à-vis des faits et des phénomènes sociaux qui sont soumises à son appréciation scientifique. « Il faut, dit-il, écarter toute idée absolue de bien et de mal ». Le sociologue, estime-il, ne doit pas prétendre gouverner les phénomènes qu’il observe, ni les modifier à son gré. Même porter un jugement sur ces phénomènes c’est déjà les transformer d’après Comte. Le sociologue n’a pas donc d’état d’âme face à son objet et il n’y a ni de position idéologique. Il n’a non plus ni de désir, ni de préférence face aux phonèmes qu’il étudie ou de leur manières d’être[14] 

L’esprit positif, d’après Comte, qui doit dominer la pensée scientifique de la sociologie impose au sociologue lui-même de la rigueur, de la rationalité et de l’objectivité. Il sait que son attitude doit s’en tenir au fait c’est-à-dire à réalité plutôt que de se fier aux produits de l’imagination. Tout comme dans les sciences de la nature, le sociologue suivant la pensée de Comte doit avoir l’attitude de se référer aux faits pour trouver son explication au lieu de se croire à a une causalité externe comme les forces surnaturelles.  Par ailleurs, Comte a établi le principe du regard extérieur de l’observateur. Car, dit-il : « L'observation intérieure engendre presque autant d'opinions divergentes qu'il y a d'individus croyant s'y livrer[15] ».  

Qu’en est-il de l’attitude du praticien face aux maux sociaux ? Michel Lallement  écrit : « De manière à résoudre la crise sociale, Comte ne milite pas, contrairement aux contre-révolutionnaires. C’est un nouvel ordre social basé, non sur des croyances ‘théologiques’ mais sur des acquis de la philosophie positive que Comte appelle de ses vœux. Ce positivisme se décline en deux règles élémentaires : Observer les faits à l’écart de tout jugement de valeur et énoncer des lois ». 

On retient que, dès l’origine, le jugement de la sociologie se produit aux antipodes de l’influence de l’émotion, du jugement de valeur et du sens commun.  Le trait caractériel du sociologue se résume à l’énoncée suivante : « Le professionnel n’a pas d’Etat d’âme ». En dehors de ces prescrits étique et épistémologique on ne peut pas prétendre produire un discours dans la normativité sociologique.  
 

5.      En guise de conclusion

La sociologie scientifique ne peut pas se passer des principes préliminaires de scientificité de la discipline établis par Auguste Comte.  Elle doit dépasser les simples opinions, être objectives des réalités sociales et méthodique. Comme le dit Pierre-Jean Simon cette sociologie ne peut être qu’une sociologie positive[16] C’est dans ces seules conditions qu’on peut s’attendre à une sociologie qui produit des effets de connaissance. Si non, estime l’auteur, la sociologie devra être considérée comme un discours de philosophie sociale ou, au pire, de couverture universitaire à une idéologie politique, de manière un peu dérisoire que mauvaise littérature.  

Pratiquer une sociologie positive n’est nullement une obstruction à la solution des maux sociaux et la recherche du progrès social. Au contraire, ce format d’exercice de la sociologie est rassurant pour répertorier des idées franches et scientifiquement rationnelle afin qu’on puisse poser des actions visant à agir sur l’environnement humain et pour le transformer. Comme le dit Raymond Boudon et AL la sociologie participe d’une double manière à la dynamique sociale. « D’une part, c’est elle qui permet à l’esprit humain de boucler sur lui-même son propre mouvement par la connaissance de ses produits et de ses opérations [17]».  

« La connaissance des lois des phénomènes, dont le résultat constant est de nous les faire prévoir, peut seule évidemment nous conduire, dans la vie active, à les modifier à notre avantage les uns par les autres. Nos moyens naturels et directs pour agir sur les corps qui nous entourent sont extrêmement faibles et tout à fait disproportionnés à nos besoins. Toutes les fois que nous parvenons à exercer une grande action, c'est seulement parce que la connaissance des lois naturelles nous permet d'introduire, parmi les circonstances déterminées sous l'influence desquelles s'accomplissent les divers phénomènes, quelques éléments modificateurs, qui, quelque faibles qu'ils soient en eux-mêmes, suffisent, dans certains cas, pour faire tourner à notre satisfaction les résultats définitifs de l'ensemble des causes extérieures En résumé, science, d'où prévoyance; prévoyance, d'où action 3 : telle est la formule très simple qui exprime, d'une manière exacte, la relation générale de la science et de l'art 1, en prenant ces deux expressions dans leur acception totale.[18] ». 

La sociologie fournit des éléments de médication aux problèmes sociaux. La connaissance réelle des lois qui gouvernent les faits et les phénomènes sociaux est en fait la dotation à l’homme d’un pouvoir d’agir sur eux. Sans le vouloir, la sociologie positive contribue au modelage et à la transformation de ses objets de curiosité. Viscéralement, en raison de la nature du dit objet,  le simple fait d’approcher un phénomène est sujet à impacter sur lui.  

Comment est-on arrivé à cette dérive zophologique de la sociologie ? Dès ses débuts, la sociologie est victime de son ambition, puis de son succès. En raison de l’autorité qu’elle a acquise, elle est devenue à la fois enviable et un parapluie. La principale raison de ce méfait causé à la sociologie est due au fait que la discipline reste peu institutionnalisée. Cette situation rend la sociologie vulnérable et une proie facile aux imposteurs qui cherchent à duper. Il est vrai qu’il existe quelques centres d’enseignement de la sociologie. Cependant, il n’y a pas assez de collectifs de la discipline qui pourraient non seulement se poster en véritable défenseur, protecteurs de la discipline mais qui sauraient aussi déconstruire les faux discours sociologiques. Deuxièmement, la sociologie est elle-même émiettée d’un point de vue des assises idéologiques[19] de la pratique de la discipline et de son utilité. Cet émiettement pose un autre problème qui fragilise davantage le contrôle de l’effet de connaissance de la discipline.  

Sans aucune formation en sociologie, beaucoup s’arrogent de droit de forger des concepts de toute pièce sociologiques pour traduire des réalités sociales. Certains prétendent aussi de produire un discours sociologique sur des sujets pointus. Mais, institutionnelle la sociologie n’intervient pas pour, soit pour valider ou pour rectifier le tir. Le fait est qu’il n’existe pas de corporations de la sociologie ayant cette vocation. En toute logique, ce sont les centres de formation et de recherches en sociologie qui devait ce rôle d’avant-gardiste et de protection de la discipline. 

En fait on ne veut pas dire que la multiplicité des écoles de pensée en sociologie est un des problèmes fondamental de la discipline. Mais, la dissension à l’intérieur de la discipline constitue un handicap majeur à la posture scientifique de la sociologie. Le discours n’est plus impersonnel. Comme on l’a vue plus haut, la science n’a pas de point de vue, ni de position. Elle n’a qu’un regard. Il est vrai qu’en raison de la complexité des faits et des phénomènes étudiés par la sociologie, on doit avoir une approche multipolaire pour les saisir quasi-totalement.  Mais cela ne fait pas pour autant une opposition entre les approches utilisées et les résultats obtenus. Au contraire ces approches et résultats se complètent. Déterministe, individualiste et interdépendance sont des modèles d’analyses complémentaires. Interactionnisme, marxisme, fonctionnalisme, et autres ne sont que des regards. 

Ce qui est constaté c’est que les écoles sont des alibis pour des prises de positions dans la pratique de la discipline. Nous n’entendons pas proposer une restriction de la liberté du sociologue. Mais, la recherche d’une unité de la démarche et de l’accouplement des approches différentes sont nécessaires pour une sociologie plus exacte et ayant la posture d’une science dans la vision de Comte.   

Que faire pour stopper les dérives constatées dans la posture de la discipline à travers les tribunes ? Nous proposons :
·         Le développement et/ou le renforcement des collectifs de la sociologie ;
·         L’institutionnalisation de corporation de la discipline comme la mise en place dans chacun des  pays et territoires de la planète où la sociologie est enseignée d’un Ordre des Sociologue qui aura pour mission d’accréditation des praticiens sociologue, de contrôler la pratique du métier au regard de l’éthique universelle de la discipline et au regard des législations locales ;
·         De sanctionner le savoir produit au niveau local et de soumettre celle qui est valider à la communauté scientifique au niveau mondiale ;
·         Le développement d’une filiation régionale et international de l’ordre de sociologie ; D’assurer la formation continuer et le recyclage des sociologues accrédités.  

Enfin, afin de stopper les dérives qui vienne de l’intérieur même de la sociologie nous proposons, également :
·         En plus des codes éthiques pour être membre d’un collectif, il faudra échafauder un code déontologie universelle pour le métier de sociologue ;
·         Que les candidats sociologues, comme c’est le cas pour les praticiens des autres disciplines, puissent prendre l’engagement de pratiquer le métier sous serment[20].

Tout compte fait, la production des effets de connaissance sociologique doit être indépendant des artifices sociales. En référence à la formule de la philosophie positive de Comte : « Savoir pour prévoir et prévoir pour pouvoir[21] » nous admettons qu’étant sociologue qu’on peut être apte à occuper des fonctions de service, utilitariste et transformation du social[22]. Car, cela peut être même un prétexte, sans l’apparat d’une traitrise, pour pouvoir appréhender le fait sociologique. L’ambition de tous les fondateurs de la sociologie ainsi que de ses précurseurs comme Karl Marx, Saint Simon, Comte, Durkheim, Georg Simmel, Weber était d’apporter un changement en profondeur dans leur société[23].  Nous tenons à notifier que cela ne fait pas pour autant du sociologue un travailleur social. En même temps nous attirons l’attention sur le fait qu’il existe des fonctions inconciliables avec la fonction recherche fondamentale.
 

Jean Laforest Visene
Professeur à l’Université d’Etat d’Haïti
Sociologue, M.A Sciences du Développement



[1] Gaston Bouthoul, Histoire de la sociologie, Presses Universitaires de France, Paris France, 1971, page 52-60.
[2] Etre universitaire ne veut pas dire qu’on est sociologue. Si non, ce ne serait pas important d’avoir un département de sociologie dans une faculté. Tout comme le sociologue n’est pas historien, géographe, travailleurs social, économiste ou autre, ces derniers ne sont pas non plus des sociologues. En dépit du fait qu’une discipline peut emprunter la démarche d’une autre pour parvenir à l’explication, aucune d’elles ne peut pas prétendre produire le discours de l’autre.
[3] Physique sociale est la première appellation que Comte a donnée à cette discipline. Ayant pris connaissance de l’usage de cette expression par le Belge Adolphe Quételet pour ses travaux de statistique sociale, il a recouru au terme sociologie pour designer sa science nouvelle. Notons que le terme a été inventé par l’homme d’église, politique et essayiste français Emmanuel-Joseph Siyès. Le terme était peu conceptualisé. En tant qu’homme politique Siyès voulait développer un art social. Car, dit-il : La connaissance positive de la société doit servir à gouverner. Mais c’est compte qui a popularisé le terme avec son nouvel usage.
[5] Pierre-Jean Simon, Histoire de la sociologie, Quatrige / PUF, Paris, France, 1991, page 313.
[6] Notons que Comte voulait créer une science qui deviendrait le stade ultime des disciplines savantes et pratiques, en d’autres termes son couronnement. Cela signifie que la sociologie devait parfaire l’ensemble des recherches menées jusque-là.
[7] Auguste Comte, dans CATÉCHISME POSITIVISTE (page 4) parle de la sociologie comme une science dont  les phénomènes sont à la fois plus simples et plus généraux, suivant l'esprit de toute la hiérarchie positive http://classiques.uqac.ca/classiques/Comte_auguste/catechisme_positiviste/catechisme_positiviste.pdf 
[8] Larousse, « Étude scientifique des sociétés humaines et des faits sociaux » http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/sociologie/92348
[9] Auguste Comte, CATÉCHISME POSITIVISTE ibid. page 50.
[10] Raymond Boudon, et Francois Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, Editions Presse Universitaires de France (PUF), Paris, France, 2004, page 88.
[11] Voir Massimo Borlandi et Al. Dictionnaire de la pensé sociologique, Presse Universitaire de France, PUF) Paris, France, 2005, page 110.
[12] Gaston Bouthoul, OP.Cit, page 58.
[13] Béatrice Barbusse et Dominique Glayman, Introduction à la sociologie, Editions, Fourcher, Paris, France, 2000, page 15.
[14] Massimo Borlandi et Al. , OP.CIT, page 112.
[15] Auguste Comte (1830-1842), Cours de philosophie positive, (1er et 2ème leçon), page 42, http://classiques.uqac.ca/classiques/Comte_auguste/cours_philo_positive/cours_philo_pos_1_2.pdf.
[16] Pierre-Jean Simon, OP. Cit, page 284.
[17] Raymond Boudon et Al., Dictionnaire de sociologie, Edition Larousse-Borda/HER, Paris France, 1999, page 40.
[18] Auguste Comte (1830-1842, OP.CIT, page 55.
[19] Toute discipline a sa configuration épistémologique et étique qui est censé conditionné sa pratique. Cette configuration est en fait une forme de l’idéologie, laquelle diffère du sens du concept idéologie dans la pratique politique sens politique. Quand la règle n’est pas formalisé, imposée contrôlée, le terrain est propice à de telles dérives comme constatées.
[21] Le véritable esprit positif consiste d’après Comte, à voir pour prévoir, à étudier ce qui est afin d’en conclure ce qui sera, d’après le dogme de l’invariabilité des lois naturelles Comte, Discours sur l’esprit positif  1844.
[22] Le père fondateur voulait être un réformateur de la société. Voir son ouvrage : « Plan des travaux scientifiques pour reformer la société » (1922).
[23] Pour plus de détails voir Christian Laval, L’ambition sociologique, Editions Gallimard, Imprimé en Espagne, 2012.