mercredi 9 février 2011

PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT EN HAITI : Alerte aux écueils irréversibles que peuvent engendrer certains "projets bidons" de développement communautaire

Conférence prononcée le 30 mai 2005, au Département des Sciences du Développement de la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’Etat d’Haïti, Port-au-Prince, Haïti. Voir aussi l'article "Risque de disparition d'espèces d'arbres fruitiers dans le département du sud d'Haïti in le quotidien le Nouvelliste, Novembre 2002, Port-au-Prince, Haiti.

PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT EN HAITI : Alerte aux écueils irréversibles que peuvent engendrer certains "projets bidons" de développement communautaire

Je voudrais, avant de commencer mon exposé, présenter mes remerciements au professeur Jacques J. Jovin de me recevoir dans le cadre de son cours : Ecologie et Développement, pour prononcer cette conférence sur le thème : « Protection de l’environnement en Haïti : Alerte aux écueils irréversibles que peuvent engendrer certains projets bidons » de développement communautaire ».

Comment concilier le développement et l’environnement ? Telle est la question à laquelle notre intervention ambitionne de vous porter à réfléchir. Disons rapidement que pour notre intervention nous allons, dans un premier temps, définir les concepts clés qui se trouvent dans le thème même de notre conférence. Ensuite, nous établirons la relation entre le développement humain durable et la protection de l’environnement. Et enfin, nous porterons notre regard sur une région du pays où nous avons noté le risque de disparition d’espèces d’arbres fruitiers, ce qui pourrait contribuer à compliquer davantage la condition d’existence des habitants de la zone.

A notre époque la question de la protection de l’environnement occupe une place importante dans les discours politiques, économique et même religieux. On a enfin reconnu que l’intérêt que porte une nation à son environnement peut avoir un impact positif ou négatif non seulement pour elle-même mais aussi pour la planète entière.

Il est claire que la conservation des ressources écologiques de la planète est indispensable pour assurer une stabilité et / ou augmenter la qualité de vie tant au niveau national qu’au niveau mondial. Le père de la protection de l’environnement, John Muir, eut raison quand il déclara : « Lorsque nous essayons d’extraire un seul élément nous découvrons qu’il est relié à l’ensemble de l’univers ». Ainsi comprenons-nous que la disparition d’un élément de notre environnement qui nous paraîtrait insignifiant peut causer du tort à notre avenir puisqu’il y a interrelation et effet réciproque entre les divers composants de notre environnement.

C’est quoi l’environnement ? Quel sens lui prête notre intervention ? Bien avant, intéressons-nous au concept du développement durable.

Le concept du développement durable est un concept nouveau crée par les organismes des Nations Unie particulièrement le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et La Banque Mondiale. C’est un concept multidimensionnel qui exige une approche multidisciplinaire pour le saisir complètement. Le temps nous manquerait ici pour faire un tel exercice. Cependant, nous allons rapidement voir le sens de ce concept sans pour autant que la définition qui en découle ne souffre pas de simplification excessive.

Deux sous concepts sont à isoler celui du développement humain et celui du développement durable. Il faut par-dessus tout chercher à comprendre le concept de développement et les qualificatifs qui lui sont adjoints celui de l’humain et celui de durable.

Le développement, sans rentrée dans des définitions ronflantes ou phallocentriques, est un acte par lequel s’accroît ou fait s’accroître un objet, un état ou une situation. Alors que l’humain se réfère à l’homo sapiens - sapiens doué d’intelligence et d’un langage articulé. Et enfin, précisons qu’on dit qu’une chose est durable c’est lorsqu’il y a continuité dans le temps.

Des ces considérations simples mais précises nous définissons le concept de développement humain durable comme étant un type de développement basé ou centré sur l’homme et qui tend à la pérennisation de l’être et à son épanouissement total. Ce type de développement, non seulement implique une amélioration de la qualité de vie des habitants par l’utilisation rationnelle des ressources et des infrastructures mais, ne nuit pas à l’environnement écologique, afin que les générations futures puissent survivre et se développer de manière adéquate. Ce type de développement exclut donc toute possibilité d’hypothéquer l’avenir des générations futures.

Voyons maintenant le concept d’environnement. Il implique dans le cadre de cet exposé, l’ensemble des éléments naturels qui constituent le cadre de vie de l’homme. Il englobe l’ensemble des agents physiques, chimique et biologiques et d’autres facteurs susceptibles d’avoir un effet direct ou indirect, immédiat, à terme ou à long terme sur les êtres vivants et/ou les activités humaines. L’homme placé dans ce milieu rentre en symbiose avec les autres espèces, animales ou végétales, afin de produire une association indispensable à sa survie et ipso facto sa multiplication.

L’accroissement des gaz à effet de serre, l’émission de substances chimiques polluantes et toxiques, la déforestation, la disparition d’espèces animales ou végétales peuvent mettre en péril la santé et l’avenir de l’homme. Malheureusement, c’est ce constat que fasse beaucoup plus d’un.

Selon E. O. Wilson : « La plupart de scientifiques spécialisés dans la diversité biologique conviennent que nous sommes au début d’une vague d’extinction des espèces d’un ampleur sans équivalent depuis la disparition des dinosaures ». En effet on risque de voir disparaître le quart de la totalité des espèces en cinquante ans. Certains scientifiques estiment à 70 le nombre d’espèces animales et végétales qui disparaissent chaque jour.

On ne mesure même pas l’importance de ces espèces dans l’équilibre écologique de l’environnement dont l’homme se trouve au centre de la dynamique. Qui ne dit pas que ces espèces au pu permettre à l’homme de faire face à telle ou telle autre maladie. Si la pervenche rosée qu’on retrouve au Madagascar aurait disparu dans le temps saurait-on que sa fleur a la capacité de la leucémie. ? On pourrait poser la même question pour l’If du Californie qui sert à traiter le cancer du sein et, on pouvait le faire un tas d’autres plantes.

Il est clair que la protection de l’environnement est nécessaire pour un développement humain durable. De ce fait, il faut concilier le développement et l’environnement. Malheureusement ce n’est pas un exercice facile.

Portant notre regard sur des actions de développement dans le département du sud d’Haïti, le COLLECTIF EUCA-DEV a retenu que parfois voulant contribuer au développement et résoudre des problèmes urgents certains organismes peuvent entraîner certaines zones dans un cercle vicieux de mal-développement. Cette conclusion repose sur des observations qui ont été portées sur plusieurs localités de la 8ème section communale de Maniche et de la 2ème section communale de Camp-Perrin dans du département du sud d’Haïti.

Il faut relater que durant la période d’observation nous avons noté une intense activité de greffage par des agents de terrain d’organisme de développement qui interviennent dans la zone. Nous avons suivi les agents greffeurs à l’œuvre sur le terrain. Puis nous avons eu des entretiens avec des bénéficiaires, des animateurs locaux, des agronomes et un écologiste. Nous avons questionné nos informateurs sur les raisons pour lesquelles certains arbres fruitiers ont nettement diminué et d’autres sont introuvables dans la zone. Nous les avons entretenus également sur les conséquences probables de la pratique du greffage.

Les provisions informatives que nous avons obtenues nous ont porté à parler de risque de disparition d’espèces d’arbres fruitiers dans le département du sud d’Haïti et ceci pour sept raisons :
1.                Les problèmes économiques des habitants de la zone les obligent à pratiquer le commerce du bois sans exception de leurs espèces.
2.                Dans la zone on pratique un greffage total de la plante c’est-à-dire on enlève toutes les branches de la plante concernée pour les remplacer par d’autres.
3.                Les agents pratiquent cette forme de greffe sur toutes les plantes et plantules des espèces ou variétés concernées qui tombent sous leurs yeux, ce qui risque de compromettre la reproduction naturelle de la variété, alors qu’il n’y a pas de parc de conservation des espèces ;
4.                Les produits issus du greffage, selon les spécialistes, à plus de 97 %, ne se reproduisent.
5.                C’est à l’insu des autorités et de la quasi-totalité des communautés locales que se produit ce phénomène ;
6.                Cette raison qui est une conséquence logique de la précédente, est que les habitants n’ont pas encore développé une attitude responsable vis-à-vis de la reproduction de la flore. Ils s’en remettent entièrement à la nature pour en assurer ;
7.                Enfin, le produit greffé, même s’il se reproduirait ne pouvait pas servir de base à la reproduction de la variété originale.

Quelles sont les espèces et/ou variétés que nous avons répertoriées qui sont menacées ? Cette liste n’est pas exhaustive mais on peut citer : les manguiers  [en créole haïtien mango labich, mango fil, mango nèt, mango kòn, mango sik]; Les agrumes tels que le citron et les oranges [ zoranj dous, zoranj si, zoraanj lakaye]. Il faut ajouter à cette liste des espèces menacées : la « pòm », la « ponmòwòz », le « Kayimit », le « kachiman » et la « gwayav », la « grenadin », le « sapoti », le « labapen » etc.

Quelles pouvaient être les conséquences certaines si ces espèces et /ou variété disparaissent de la flore locale? Elle peut avoir des effets indésirables très graves. Par exemple :
-                     La reproduction de la flore fruitière locale pourrait devenir dépendante des laboratoires étrangers ou à des tiers locaux ;
-                     Augmentation de la fragilité des écosystèmes locaux ;
-                     Déséquilibre entre population et ressources naturelles ;
-                     L’aggravation du problème de l’érosion ;
-                     L’augmentation du problème de la faim et de la sous-alimentation (déficit alimentaire - vitamines) en milieu rural haïtien ;
-                     Une diminution du revenu des ruraux ;
-                     Une augmentation de l’exode rural qui aggraverait davantage le problème de la bidonvilisation en milieu urbain et suburbain etc.
-                     D’autres conséquences que nous ne citons pas ici.

Ce problème risque de disparition d’espèces et/ou variétés d’arbres fruitiers peut s’étendre à tout le département du sud et même ailleurs pour trois raisons :
-                     Premièrement, les paysans subissent partout dans le département les mêmes pressions économiques. Par conséquent, ils ne pensent même aux conséquences de leurs actions quotidiennes sur leur lendemain ;
-                     Deuxièmement, il y a une mentalité prélogique qui préconise que la nature évolue et arrange les choses qui est jusqu’à date une mentalité dominante en milieu rural haïtien ;
-                     Troisièmement, l’organisation qui finance le projet de greffage des arbres fruitiers travaille dans tout le département du sud et ailleurs. Nous supposons que ses agents de terrain départementaux reçoivent une formation insuffisante en matière de greffage et/ou les mêmes consignes d’intervention.

En référence à ces considérations, même si nos observations n’ont pas été portées sur l’ensemble des localités du département et ailleurs les données seraient en quelques sortes généralisables. D’autant plus qu’un animateur qui à travaillé pendant plusieurs années dans le département du sud’est nous a fait remarquer que des espèces étaient menacées dans ce dit département pour les mêmes raisons.

En guise de recommandation, nous suggérons :
-                     La création d’un parc national, si possible une sous-station dans chaque département, où seront plantées et entretenues les différentes espèces et variétés de la flore locale ;
-                     Les Ministères de l’Environnement et celui de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural doivent superviser et encadrer les organismes qui interviennent dans leur champ d’activités ;
-                     La conduite d’activités de sensibilisation au niveau locale qui permettront une prise de conscience sur le danger et mettrait en évidence la responsabilité individuelle et collective dans la protection du patrimoine écologique local ;
-                     L’étude des alternatives au greffage qui pourrait améliorer le rendement des espèces locales ;
-                     Du côté des organismes qui travaillent dans le domaine des arbres fruitiers nous suggérons une formation plus complète pour leurs agents communautaires.

Faut-il s’alarmer ? Certainement pas. D’autant que le problème n’aurait pas encore pris une proportion nationale. De plus, il a été décelé à temps. Il ne reste aux autorités et aux communautés locales qu’à prendre les dispositions nécessaires pour y remédier.

Jean Laforest VISENE

Coordonnateur généraL COLLECTIF EDUCA-DEV.

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