lundi 7 mars 2011

La Pauvreté en Haïti: Cercle vicieux pour le développement local

Publié dans le journal Le Nouvelliste, no. 36742 du vendredi 8 au dimanche 10 août 2003, pp. 16, 23 ; Suite voir no. 36743 du lundi 11 août 2003, pp. 14, 15 et 16, Port-au-Prince ;
La pauvreté rurale en Haïti :
Cercle vicieux du sous-développement local

A certains égards, la pauvreté rurale en Haïti  constitue  un obstacle majeur à la réalisation des projets de développement dans ce milieu. C’est l’idée que soutient l’auteur de cet article, tout en considérant  l’ambigu concept de pauvreté comme un concept multidimensionnel et que son explication exige une approche multidisciplinaire à cause de ses niveaux et de ses degrés. Après son explication de la pauvreté rurale haïtienne, l’auteur a ciblé  quelques pistes d’action et  propose une méthodologie d’intervention  pour y remédier.

Par Jean Laforest VISENE

 « Développement » et « Pauvreté » deux concepts qui ne riment pas. Alors que le premier suppose l’existence de conditions de vie humaine supportables, le second indique le croupissement d’un individu ou d’un groupe d’individus dans la misère et le sous- bassement humain. La pauvreté est présentée par beaucoup d’auteurs comme l’handicap fondamental pour un véritable développement endogène.  

Comment l’état de pauvreté que connaît le milieu rural haïtien peut-il contribuer à son mal développement ou même alimenter un cycle de « développement de son sous-développement » ? Quelque soit la réponse qu’on peut donner à cette question, un fait est certain : la pauvreté d’Haïti frappe particulièrement les ruraux et cette situation risque d’enliser leur milieu dans un cercle vicieux de sous-développement. Comment ? Bien avant, présentons le pôle technique de l’article.

1.    - Pôle technique de l’article

1.1. – Perspective et méthodologie
Cet article part de l’hypothèse qu’il existe une relation d’influence négative de la pauvreté (humaine, économique, politique, culturelle et/ou spirituelle) sur les possibilités de développement du milieu rural haïtien. Il s’inscrit dans la logique du débat sur la recherche d’une voie pour parvenir à l’éradication de la pauvreté rurale qui existe dans le pays. Sa rédaction suit la démarche de l’analyse classificatrice et du développement séquentiel pouvant nous permettre d’arriver à la déduction scientifique. Néanmoins, la plupart des données utilisées sont issues de l’analyse de contenu et ne considèrent que les aspects les plus importants pour notre analyse. De plus, la multidisciplinarité des concepts fondamentaux est priorisée, ce qui permet de les considérer sous leurs diverses dimensions.

Dans la présentation matérielle nous suivrons cette suite logique : d’abord, nous établirons les « en dehors internes » et l’ambiguïté du concept de la pauvreté ; nous déterminerons les causes probables de la pauvreté rurale dans le pays et les niveaux et degrés de pauvreté observés ; et enfin, nous ciblerons quelques pistes d’action et proposerons une méthodologie d’intervention pour parvenir à la résolution du problème de pauvreté rurale en Haïti.

 1.2. - Ambiguïté du concept de la pauvreté et critères d’analyse
Le concept de pauvreté est parsemé de brouillage sémantique. Dépendamment de la position de l’auteur et des instruments de diagnostic et de mesure qu’il utilise, il peut être considéré comme un avantage ou un inconvénient. D’autant plus qu’il n’existe pas de cadre théorique pour l’étude de la pauvreté d’une part et d’autre part, la recherche sur ce sujet est axée essentiellement sur les méthodologies et les critères pour mesurer le nombre de pauvre [1].

Ce problème de conceptualisation fait que chaque définition du concept de pauvreté est chargée de jugements normatifs tant sur les pauvres eux-mêmes que sur les systèmes politiques, économiques et sociaux dans lesquels ils vivent. Malgré tout, on reconnaît la pauvreté comme un concept multidimensionnel. Ce qui exige pour l’analyse de sa répercussion sur le système social, la prise en compte d’un nombre illimité de problèmes, de causes, de conséquences et de symptômes.

1.2.1. – Définition,  
Malgré l’ambiguïté du concept de pauvreté nous acceptons la définition de Jean ETIENNE et al. qui, dans le dictionnaire de sociologie [2], définissent la pauvreté comme étant « le seuil en deçà duquel l’existence biologique est menacée ». Nous acceptons également leur catégorisation où le pauvre est vu comme celui qui ne peut accéder aux biens de premières nécessités : alimentation, santé, éducation, logements … etc. Cependant, reconnaît-on, la pauvreté est une notion relative qui varie dans le temps et dans l’espace. Car, être pauvre n’a pas la même signification en Haïti, en France ou en Inde, au 19ème, au 20ème ou 21ème siècle.

1.2.2. - Critères d’analyse
En référence à la définition ci-dessus rapportée, notre analyse de la pauvreté rurale en Haïti devrait être portée sur les divers aspects que recouvre la pauvreté : matériels, monétaire et non matériels. Précisons que la pauvreté non - matérielle regroupe des éléments tels que droits, libertés politiques, emploi, éducation, culture, inégalité, exclusion, participation économique, pouvoir, santé, logement … etc. Cependant, nous n’aborderons que certains d’entre eux par le fait que ces éléments présentent pour la plupart des difficultés pour leur évaluation quantitative. De toute façon, nous l’appréhendons comme un problème de grande complexité qui doit concerner la société dans son ensemble et que l’une de ses conséquences les plus pernicieuses est d’obstruer les actions de développement.

2. - Niveaux et degrés de pauvreté observés en milieu rural haïtien
Les deux grands niveaux de pauvreté retenus par les sociologues et statisticiens dans leur classification de la pauvreté sont retrouvés dans la pauvreté rurale en Haïti. Il s’agit de la pauvreté relative et la pauvreté absolue.

En effet, la vie en milieu rural haïtien est surtout teintée d’inaccessibilité aux modes de vie considérés comme humainement supportables. Ce premier niveau correspond à un manque de ressources qui n’assure pas un mode de vie décent certes, mais assure tant bien que mal la « subsistance sociale ».

Le second niveau de pauvreté pour sa part, implique l’inaccessibilité même au minimum de subsistance. Raymond Bourdon, y référant, parle de « l’inaccessibilité au minimum vital » [3] qui correspond aux ressources nécessaires pour ne pas être entraîné dans le cercle vicieux de la déchéance physique qui pourrait même causer la mort. Le seuil de ce type de pauvreté est évalué à partir des calories nécessaires à l’entretien de l’organisme humain [4]. Malheureusement, des niches de ce type de pauvreté existent dans le milieu rural haïtien où les gens meurent d’inanition.

La pauvreté absolue et la pauvreté relative ne sont que des niveaux de pauvreté observés dans le milieu rural haïtien, comme on peut d’ailleurs les observer partout. Cependant, il y a lieu de relater des dimensions qu’on a relevées, dont chacune d’elles peut avoir des effets d’influence réciproque. Il s’agit de la pauvreté humaine, la pauvreté économique, la pauvreté politique, la pauvreté culturelle et/ou spirituelle.

En ce qui concerne la pauvreté humaine, deux facteurs sont à considérer : le facteur physique et/ou force de travail et le facteur éducatif (le savoir technique). Quant à la pauvreté économique, elle se réfère aux entreprises existantes, aux revenus, aux capitaux, aux patrimoines « architecto-matériels », etc. La pauvreté politique s’explique par l’inertie des pouvoirs politiques  et l’absence de programmes de développement au sein des partis. Pour ce qui est de la pauvreté culturelle et/ou spirituelle, on identifie d’une part, les idéologies religieuses dominantes, les normes, les valeurs, la mentalité, etc. D’autre part, l’accent est mis sur les dimensions physiques des facteurs naturels et des désordres produits par l’homme.

Les données statistiques disponibles indiquent que la pauvreté humaine, économique, politique, culturelle et/ou spirituelle, se pérennisent dans le milieu rural haïtien [5].

3. - Explication de la pauvreté rurale haïtienne
En référence à la classification retenue et les dimensions considérées nous pouvons dire qu’il n’y a pas de société sans pauvres. Cela implique qu’on les rencontre dans les pays développés et dans les pays sous-développés ; également dans les régions urbaines tout comme dans les régions rurales. On a relevé  que même dans des pays riches de l’Europe et de l’Amérique du nord il y a des gens qui vivent en situation de rupture avec la société. En ce qui concerne le milieu rural haïtien sa pauvreté prend une dimension tout à fait alarmante. Comment expliquer cet état de fait ?

On peut expliquer la pauvreté rurale haïtienne particulièrement par la déficience du système socio-éducatif et productif local, sans oublier les impondérables liés aux contextes régional, national, et extranational [6]. Cependant, la question d’échange inégalitaire qui ne permet pas de générer assez de revenu est avancée comme la cause principale de la pauvreté rurale qui sévit en Haïti.  Cette situation entraîne le milieu dans des conditions d’existence indésirables qui tendent à créer des conditions non propices au développement voir alimenter la spirale du développement du sous-développement.

Le géographe Yves Lacoste [7] a relevé les conditions non propices au développement dans plusieurs pays sous-développés dont la plupart fait partie du quotidien du milieu rural haïtien. Il a cité :

-         Insuffisances alimentaires ;
-         Grave déficience des populations, forte proportion d’analphabètes, maladies des masses, forte mortalité infantile ;
-         Ressources négligées ou gaspillées ;
-         Forte proportion d’agriculteurs à basse productivité ;
-         Faible proportion de citadins, faiblesse des classes moyennes ;
-         Industrialisation restreinte et incomplète ;
-         Hypertrophie et parasitisme du secteur tertiaire ;
-         Faiblesse du produit national par habitant ;
-         Ampleur du chômage et du sous-emploi, travail des enfants ;
-         Situation de subordination économique ;
-         Inégalités sociales  très violentes;
-         Dislocation des structures économiques ;
-         Ampleur de la croissance démographique ;
-         Prise de conscience et situation en pleine évolution ; 

Exposant les grandes lignes de la définition d’un cadre macro-économique de développement, le professeur Wilfrid Joseph [8] a mentionné divers facteurs dont chacun d’entre eux se combine pour donner le résultat de pauvreté observée dans le rural haïtien. Ils sont :

-         Absence d’idéal et de mission / Absence d’un plan national de développement rural ;
-         Détournement et même dilapidation des fonds destinés au développement du milieu ;
-         La culture de mauvaise gestion dans l’administration haïtienne ;
-         Une mentalité dominante qui cherche inlassablement à tout expliquer par le surnaturel. Ce qui développe la résignation, l’acceptation de la réalité existante comme étant l’émanation de la volonté divine ;
-         Une culture de suivisme des décideurs politico-administratifs du pays qui se traduit par l’application de modèles importés sans être pilotés et apprivoisés à la réalité locale ;
-         L’uni-polarité des actions dans le milieu ;
-         Comportement irresponsable des élites haïtiennes ;
-         Des obstacles charpentés par des anti – développementistes ;
-         Le poids de l’héritage colonial d’Haïti ;
-         L’instabilité politique ;
-         La faiblesse du système judiciaire haïtien ;
-         Pas de définition d’axe prioritaire d’intervention et actions isolées des différents acteurs évoluant dans le milieu.

La pauvreté rurale en Haïti est donc le résultat de la combinaison de facteurs internes et externes au milieu rural. Dans l’explication de la pauvreté nous avons déjà exposé quelques-uns de ses effets, voyons-les de manière plus spécifique au développement du milieu rural haïtien.

4. - Effets de la pauvreté
L’investissement de capitaux est une condition nécessaire pour assurer le développement du milieu rural, car comme le soutiennent les tenants de la théorie du capital et de l’épargne : « Pour croître, il faut investir, pour investir, épargner, pour épargner, il faut disposer d’un revenu qui couvre et au-delà des besoins fondamentaux »[9]. Or, la pauvreté économique que nous avons mentionnée crée cette condition que Leibenstein (1957) appelle la ‘trappe de la pauvreté’ : Le revenu en milieu rural est faible pour permettre la création d’une épargne suffisante pour réaliser les investissements nécessaires à la productivité du travail et à l’élévation du revenu.

Un fait est certain : Partout où elle existe, la pauvreté charrie derrière elle des situations à la fois biologiques, socio-économiques et culturelles, néfastes. Cependant, dans des endroits où elle prend une grande ampleur la pauvreté gène la bonne marche de la société. Certainement, la pauvreté est associée à beaucoup d’autres situations pour créer un climat d’instabilité et du même coup projeter une mauvaise image du milieu par rapport au reste de l’espace considéré. Cependant, le poids de la pauvreté dans cette situation indésirable est d’un ordre beaucoup plus élevé que les autres aspects pris additionnellement.

Campeau Robert et al[10]. précisent que : « l’impact de la pauvreté sur la santé physique et mentale est énorme ». D’abord, expliquent-ils, la pauvreté réduit la personne au chômage et toute  sa vie peut être marquée par le fait de vivre dans la misère. C’est ainsi qu’on observe dans les milieux les plus défavorisés davantage de cas de mortalité infantile, de maladies de toutes sortes, d’échecs et d’abandons scolaires, de délinquance, de mésadaptation sociale, d’abus et de négligence envers les enfants. Les pauvres peuvent manifester plus de symptômes d’inquiétude, de dépression et de gestes suicidaires [11].

Dans le cas du milieu rural haïtien nous avons noté plus particulièrement le développement de comportements indésirables tels que : Le parasitisme sociale, la mendicité et l’absence d’esprit d’entreprise par faute de moyens pour investir. Et comme l’a si bien souligné Silvana Nzinorera, chargée de communication au bureau de l’UNICEF, « La pauvreté ne concerne pas seulement le manque de bien matériels, mais force l’individu à se soumettre en entraînant une perte de sa dignité ».[12]

Plus expressives encore sont les idées suivantes de Campeau et al. qui avance que : « dans une société hautement compétitive fondée sur la réussite matérielle, le quotidien des perdants que sont les pauvres, qu’ils soient jeunes ou vieux, est meublé, le plus souvent, par la faim, la frustration, les désillusions, le mépris et la honte ». Derrière ces effets de la pauvreté des êtres humains souffrent et peuvent contacter des maladies physiques ou mentales incurables.

Tout ces ‘problèmes – conséquences’ se combinent pour aggraver davantage l’état de sous-développement du milieu rural haïtien. Alors, quelles sont les dispositions à prendre pour pallier à la pauvreté rurale en Haïti et briser ainsi le cercle vicieux de son sous-développement ? C’est à cette question pertinente que nous allons répondre maintenant.

5. - Pour pallier à la pauvreté rurale en Haïti
René Dumont a estimé que « les diverses mesures » prises au niveau mondial « pour empêcher à la population de s’appauvrir n’ont pas pu apporter des remèdes aux problèmes liés a la pauvreté. Si vrai que beaucoup de gens sont frappés par la malnutrition, la famine, la disette, la mort etc.… » [13]. Alors, que faire pour renverser cette situation de pauvreté qui existe dans le milieu rural haïtien ? Et quels sont les secteurs d’interventions qu’il faudrait prioriser pour y parvenir ? Au prime abord disons que l’augmentation de l’aide bilatérale ou multilatérale n’est pas une panacée, car son impact, depuis un certain temps, reste très réduit pour ne pas dire nul. Mais on ne minimise pas son importance dans la recherche de la résolution du problème.

            5.1. - Equipement des entités des sections communales
La section communale est la plus petite entité territoriale administrative d’Haïti. Elle est administrée par un conseil de trois membres et assistée par une Assemblée de la Section Communale (ASEC). Ces instances devraient être les principaux planificateurs, gestionnaires, bref, catalyseurs de développement local.

Il est un fait que les collectivités territoriales ne sont pas dotées de ressources matérielles et financières qui leur permettraient de s’acquitter de leur responsabilité. De plus, dans la grande majorité des cas ces gens n’ont aucune compétence qui leur habiliterait à accomplir leurs tâches d’administrateurs et / ou de conseillers. Malgré tout leur ministère de tutelle n’a pas jugé bon de leur doter de ressources humaines compétentes. Ce qui handicape, en partie, la dynamique de développement dans leur zone respective.

Donc, la première chose qu’il faudrait faire pour pallier à la pauvreté rurale en Haïti c’est de fournir aux sections communales les ressources matérielles, financières et humaines adaptées à leurs besoins. Les ressources humaines doivent contenir des professionnels de diverses disciplines scientifiques [14] qui assisteraient les autorités locales et la population dans la définition d’un plan stratégique de développement de leur zone [15].

5.2. - Circuit mercantile et  circulation des richesses
La pauvreté selon Robert Chambers [16] est une conséquence des processus de concentration des richesses et du pouvoir. Cette concentration se fait à trois niveaux : Au niveau international, niveau national, au niveau régional.

Au niveau international, les pays les plus pauvres sont désorientés par des entreprises multinationales et les ont maintenus dans une situation de pauvreté intense. Au niveau national, les classes détentrices de l’économie et du savoir sont favorisées aux dépens des intérêts des masses populaires considérées comme dénuées de savoirs technico-scientifiques. Au niveau régional les échanges commerciaux entre villes et campagnes semblent profiter aux gens des villes. Les produits agricoles sont vendus à bas prix tant au niveau national qu’international et aussi de l’habilité d’une élite locale à concentrer les richesses locales entre ses mains.

Quel que soit l’espace d’échange considéré, le milieu rural s’en sort victime. On dirait que son niveau de production est trop faible pour pouvoir s’en sortir. De là, sort l’idée d’un cercle vicieux et de la conviction qu’une augmentation du revenu ne saurait suffire pour résoudre les problèmes de la pauvreté. D’autant plus que la circulation de la richesse locale pose problème.

            5.3. – Les réseaux routiers
 La géographie, le climat et l’écologie sont considérés comme des facteurs déterminants de la prospérité. En plus, ils conditionnent le niveau technologique d’une société et la motivation de ses habitants [17]. Ces trois éléments ne posent pas problème dans le milieu rural haïtien, sauf que le milieu est enclavé par le fait que le réseau routier est obsolète ou inexistant. Cette situation fait que le paysan ne parvient pas à placer à temps ses produits sur le marché. Il assiste impuissamment au pourrissement de ses produits à cause de l’archaïsation des réseaux routiers. Ce problème gène également l’élévation du niveau technologique de la société et l’accès à la formation et à l’information comme nous le verrons plus bas. Donc les décideurs doivent désenclaver le milieu rural par la construction de pistes d’accès jusqu’aux localités les plus reculées.

5.3. - Les conditions socio-éducatives et sanitaires
La pauvreté étant située dans un cadre multidimensionnel, il faudrait que des actions soient menées sur plusieurs fonds :

-         La santé, l’éducation, l’harmonisation de la question genre et développement, ce qui implique l’égalité des chances pour les deux sexes de donner leur participation;
-         La protection de l’environnement, l’aménagement du territoire, la promotion de l’artisanat ;
-         Le contrôle entre population et ressources disponibles ;
-         La création d’un climat propice au développement du tourisme rural etc. ;
-         La sécurité des investissements tant privés que publics ;
-         Combattre la corruption en Haïti, qu’on peut qualifier d’« excès de corruption » [18]. Il serait obligatoire d’implanter des structures parallèles garantissant les fonds destinés aux activités de développement dans le pays. Au lieu de produire, de manière positive, des transformations dans la condition humaine d’existence des plus démunis, on a constaté que l’aide au développement a plutôt profité aux plus fortunés ;
-         Mise en place de véritables structures qui octroieraient du crédit aux paysans, car cette absence handicape la productivité de leur travail [19].

En résumé, pour éradiquer la pauvreté en milieu rural haïtien, il faudrait :

-         Harmoniser les programmes et les politiques de développement avec les véritables besoins des ruraux;
-         Impliquer et/ou autonomiser les ruraux dans la prise de décision, d’intervenir dans l’élaboration et l’exécution des projets de développement local ;
-         Augmenter le volume et orienter l’aide au développement du milieu rural vers des niches de production qui permettraient aux populations rurales d’augmenter leur revenu et épargner ainsi pour l’investissement ;
-         Orienter l’aide des industries de transformation des produits locaux;
-         Donner l’accès aux paysans à des crédits de production, soit en espèce, soit en nature. A ce niveau,  précisons qu’il faut créer dans la paysannerie haïtienne une mentalité propice au crédit. Car le paysan semblerait être méfiant vis-à-vis des structures financières formelles ;
-         Faciliter l’accès des produits ruraux aux marchés internes et externes ;
-         S’assurer que l’aide alimentaire ne détruise pas la production agricole locale, elle doit être située dans une perspective de complémentarité de la demande locale en matière de produits alimentaires ;
-         Traiter le milieu rural comme un véritable partenaire et non comme un misérable qui quémande l’aumône.

Cependant, reconnaissons-nous qu’il y a des impondérables dont les autorités locales n’ont pas d’emprise sur eux et qui agissent pour entretenir la pauvreté en milieu rural tels que : le protectionnisme déguisé des pays riches sous formes de barrières tarifaires et non tarifaires, les subventions agricoles accordées par les pays riches à leurs agriculteurs qui facilitent et entretiennent une concurrence déloyale sur le marché local, etc. Mais, il y a un aspect très important qu’il faut considérer : C’est la méthodologie que devrait utiliser les acteurs pour intervenir dans le milieu rural haïtien. Car, elle fait souvent défaut dans les projets ruraux de développement.

6. - Méthodologie d’intervention à prioriser
Dans leurs actions en milieu rural haïtien, les intervenants doivent privilégier deux approches : l’approche systémique et l’approche « émico-étique ». Quelle est l’utilité de ces deux démarches ? Et comment les appliquer ?

La première, l’approche systémique, permettra de considérer le milieu rural comme un environnement avec ses avantages et ses inconvénients, ses traits culturels (mœurs, us et coutumes, tradition, mentalité etc.), ses défauts et ses qualités. Cette approche permet donc d’avoir une vision objective du milieu rural et de considérer les aires d’intervention comme un système composé d’éléments fortement reliés et interdépendants. Pour agir sur un tel environnement, il est requis trois étapes : perceptuelle, rationnelle et fonctionnelle [20]. C’est pour cette raison, au niveau des activités, il faudrait d’abord procéder à la description et la clarification de la situation qui obligerait à intervenir sous tel ou tel autre aspect, sans négliger les particularités culturelles et la mentalité la population locale. En deuxième lieu, il faudrait présenter les conditions objectives de réalisation de l’action et finalement, fournir les outils et les procédés nécessaires pour l’action. Ainsi, le paquet de projets ruraux devrait découler du diagnostic des problèmes du milieu et de l’incidence de ces derniers sur les aires d’intervention et sur le pays en général.

La deuxième approche, dite émico-étique [21], permettra de concilier les besoins identifiés avec la perception des résidents de leurs conditions d’existence. En effet, émique implique que l’accent soit porté sur la perspective des bénéficiaires eux-mêmes, la signification qu’ils donnent aux projets et de leur attente. Alors que l’aspect étique permet aux  intervenants, suivant leur catégorie analytique, de se poster en observateur externe au milieu pour dégager leur propre compréhension des besoins du milieu. Donc, les intervenants ne doivent pas définir à eux seuls les besoins du milieu et la finalité de leurs actions, la population locale, les associations locales et les entités étatiques devraient être  impliquées dans tous les aspects du projet.

En définitive, on dirait qu’on ne peut enrayer le cercle vicieux pour le développement rural qu’est la pauvreté qu’en posant des actions bien ciblées et par l’application d’une approche participative, basée sur la mobilisation sociale et la participation communautaire, la collaboration intersectorielle et le partenariat. Et par ailleurs, tout en utilisant les trois niveaux d’analyse en sociologie : macro, micro et méso, dans la détermination de la condition d’intervenir [22]. Il faudrait également que les projets ruraux soient tournés autour de trois pivots : aspirations, conception et croyances de la population. Les membres de la communauté doivent être l’instrument, l’acteur et les principaux bénéficiaires des retombées de cette entreprise.

Cependant, la pauvreté n’est pas seulement rurale en Haïti et son état ne se confinait pas à la dure existence des paysans haïtiens mais, il est un problème de civilisation. Comment résoudre ce problème à une échelle plus large ? Voilà ce que les décideurs politiques et administratifs du pays devraient s’atteler à définir afin d’établir un plan de développement du pays à long terme.

Jean Laforest VISENE
Coordonnateur général du
COLLECTIF EDUCA-DEV (COED)
e-mail : visenejl@yahoo.fr 

Notes bibliographiques et explicatives 


[1] MESTRUM, Francine, Mondialisation et pauvreté : de l’utilité de la pauvreté dans le nouvel ordre mondial, Les Editions de l’Harmattan, Paris 2002, p. 30.
[2] ETIENNE, Jean et al, Dictionnaire de Sociologie, 1997, p. 159.
[3] BOURDON, Raymond et al., Dictionnaire de sociologie, Paris, Éditions Larousse – Bordas/HER, 1999, p. 174.
[4] DE CASTRO, Josué, Géographie de la Faim, Les Editions du Seuil, Paris, 1970, p. 19.
[5] Voir les données relatives au milieu rural haïtien publiées par l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique, in « Enquête Budget – Consommation des ménages (EBCM 1999 – 2000) », Vol. I – Population, ménages et emploi », Vol. II – Revenus, Dépenses et consommation des ménages », Division du recensement et des enquêtes nationales, Port-au-Prince, 2000. Voir également « Diagnostique du système de statistiques sociales », Programme de nations unies pour le développement, Port-au-Prince, 2000.
[6] SANTA CRUZ, Hernan, « Les trois niveaux de ‘’besoins fondamentaux’’ dans le développement  rural », in Finances et Développement, Fonds Monétaire International et Banque mondiale, Washington,  juin 1979,  vol. 16, # 2,  pp. 29-33.
[7] LACOSTE, Yves, Contre les anti-tiers-mondistes et contre certains tiers-mondistes, Editions La découverte, 1985.
[8] JOSEPH, Wilfrid, « Développement endogène », Notes de cours, Département des Sciences du développement (Niveau Maîtrise), Faculté d’Ethnologie, UEH., 2001.
[9] FONTAINE, Jean Marc, Mécanismes et politiques de développement économique : du « big push » à l’ajustement structurel, Editions Cujas, Paris 1994, p. 40.
[10] CAMPEAU, Robert et Al., Introduction à la sociologie, Editions Gaëtan Morin, Montréal, 1993, p. 209 - 210.
[11] Nous n’avons pas de statistiques appropriées en Haïti qui nous permettent de mesurer de tels effets.
[12] « Semaine de lutte contre la pauvreté », in Le Nouvelliste, no. 36556, mardi 15 octobre 2002, p. 6.
[13] DUMONT, René, Croissance de la famine : Une agriculture repensée, Editions du Seuil, Paris 1980, p. 71-72.
[14] Chaque année des centaines d’étudiants terminent leur cycle d’études universitaires au sein de l’Université d’Etat d’Haïti, le plus souvent pour rentrer dans une période de déflation de leur savoir, ce serait une occasion pour l’Etat de leur fournir du travail d’une part et d’autre part, l’opportunité leur sera offerte de rendre à la communauté ce qu’ils leur doivent.
[15] Il revient certainement à la population de définir ses principaux besoins, cependant ces scientifiques pourraient faciliter l’expression et / ou l’identification de ces besoins ainsi que leur arrangement en paquet technique.
[16] CHAMBERS, Robert, Développement rural : La pauvreté cachée, Paris, Éditions Karthala, 1990,  p. 68.
[17] ACEMOGLU, Daron, « Causes profondes de la pauvreté : Une perspective historique pour évaluer le rôle des institutions dans le développement économique », in Finance et Développement, (Publication trimestriel du Fonds Monétaire International), juin 2003, volume 40, numéro 2, pp. 27 – 30.
[18] Le concept d’excès de corruption charrie l’idée d’une corruption qui alimente le sous - bassement de la condition humaine d’existence au point qu’on peut la classer dans une spirale du développement d’un sous-développement.
[19] ENGELLAU, Patrick, Développement et sous-développement : Les théories du Sous-développement, Deuxième partie, mars 1976, p. 9 - 11.
[20] OUELLET, André, Processus de recherche : Une approche systémique, Presse de l’Université du Québec, Québec, 1982, P. 43.
[21] D’HERTFELT, Marcel, Anthropologie culturelle : Evolution, Histoire, Structure, Fonction, Presses Universitaires de Liège, Belgique, 1992, pp. 7-8.
[22] Pour plus de détails sur ces niveaux d’analyse, voir : DENIS, Claire et al., Individu et société, Editions Chenelière / McGraw-Hill (2ème édition), Montréal, 1995, p. 26 – 27.