lundi 25 juillet 2011

Prospection de l’Encastrement biotypologique du réel social haïtien

Publié aussi dans le journal Le Nouvelliste, Port-au-Prince, Haïti, le 24 aout 2011, http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=96026&PubDate=2011-08-24
Prospection de l’Encastrement biotypologique du réel social haïtien

 

.- Par Jean Laforest Visene

« Parafaits et paraphénomènes haïtiens : Analyse sur trois unités d’observation sociologique », tel est le titre d’un ouvrage à paraitre bientôt sur le réel social haïtien. En attendant sa diffusion, ici, nous partageons avec les potentiels lecteurs une synthèse de la recherche. Ce présent article présente la problématique de la recherche, la définition et la fixation des concepts de parafait et de paraphénoméne,  les indicateurs de l’évidence du problème, la méthodologie utilisée, l’analyse et l’interprétation des données. Cette analyse permettra au lecteur de comprendre l’actualité politique d’aujourd’hui et d’interpréter la position des acteurs du système d’acteurs du milieu haïtien. L’impasse politique économique et sociale est donc biotopologiquement encastrée dans le biotope socio-matériel haïtien.

1.    Problématique de l’ouvrage

L’ouvrage commence par établir la problématique de liens sociaux en Haiti qu’on peut classer dans deux agencements sociaux : L’un suivant les critères de définition de la société et l’autre en se référent à la définition sociologique du concept de communauté. Constatant que beaucoup d’auteurs ont présenté les vertus de solidarité, d’hospitalité, de crédulité et d’inoffensivité de l’être rural haïtien qu’on tend à généralisé à la moyenne de la société haïtien, l’auteur se questionne sur la nature des véritables liens sociaux en Haïti. Doit-on les classer dans la catégorie communautaire ou dans la catégorie sociétaire de type rationnel marchand ? Il est évident, en raison de rapports temporel et socio-spatial, qu’on peut étendre certaines des vertus constatées dans un espace à toutes les unités sociologiques. Dans leur praxis, il est clair que le citadin haïtien, contrairement au rural haïtien, n’est pas différent de ceux des grandes villes occidentales capitalistes et opportunistes. Son traintrain quotidien lui oblige à être beaucoup plus rigoureux, stratège et rationnel que le campagnard, qui lui n’est pas conditionné à être futé, rusé, égoïste et opportuniste pour survivre.

La ville et la campagne haïtienne sont donc deux espaces de vivre-ensemble dans lesquels le jeu de l’acteur « individu social » ne se concrétise pas de la même manière. Dans le premier cas, en dépit de l’introduction de certains appareillages qui prédisposent l’acteur à un autre état, le paysan reste subordonné à une forme de collectivisme et une quotidienneté techno-pratique et corporatiste. Son monde virtuel et sa technologie de l’ombre n’est qu’une principauté de son vivre-ensemble. Dans le second cas, une forme primitive de l’individualisme constitue le décor idéologique de l’acteur. Le « nous / notre » du campagnard est pratiquement remplacé par un « je / moi », sous un faux rideau de rationalité de l’acteur et de sélection naturelle de type darwinien. La maxime de cet autre monde  pourrait être formulée ainsi : « Survivre et tirer le maximum de profit de la dynamique sociopolitique et économique, avec le moindre investissement individuel ».

Le rural, le suburbain ou rurbain, et l’urbain haïtien sont trois mondes distincts ayant des caractériels de cohabitation distincts. Chacun d’eux nécessite une démarche particulière d’appréhension de leurs faits et de leurs phénomènes de cohabitations. Certes, ces productions sont régulières d'après leur classification dans une typologie communautaire ou sociétaire mais, ils ont un statut d’encastrement dans une dynamique micro-idéologique du jeu social. Un simple regard holistique ou de l’individualisme méthodologique ne suffirait pour comprendre partout les manifestations de ce que nous appelons « parafait et paraphénomène » du vivre-ensemble transgéniques à ces ensembles sociaux et qui ne sont pas objectivement congrues. Les manières d’agir, d’être et de sentir  adressées ici concernent donc ces trois unités sociologiques : le rural, le suburbain ou rurbain, et l’urbain. Car les acteurs en question ne sont dissociables à ces trois espaces de vivre-ensemble.

2.    Définition des concepts parafait et de paraphénomène

Qu’est-ce en réalité un parafait ou un para-phénomène ? Les concepts « parafait » et « paraphénomène » se réfèrent aux éléments que les activistes sociaux considèrent comme des éléments de désappointement social, dans une perspective normative de la sociologie. Il ne renvoie pas à une expression de déviance car, ces éléments sont convenables avec l’état des réseaux de relations personnelles et un construit social qu’on pourrait considérer comme un système particulier. On pouvait même dégager les propriétés utilitaires et fonctionnelles de cet état de fait. Ce système nous pouvons l’imagé par un « panier de crabes vivants ». Agissant en rationalité individualisant, mais d’état collectif. Ce n’est pas un hasard que les acteurs traitent grossièrement les événements sociaux en rupture avec l’accomplissement des idéaux ancrés dans les valeurs républicaines clairement exprimées dans la légende de la république d’Haïti : « L’Union fait la force ».

Cette légende : « L’union fait la force », semble avoir été motivée par la prise de conscience des leaders de l’époque de la difficulté de cohabitation harmonieuse des diversités ethniques africaines et européennes qui se trouvent sur le sol haïtien.  On avait compris donc que les valeurs de liberté et d’égalité que préconisait la révolution française devaient être renforcées par des valeurs de fraternité. Ces valeurs dans la société postmoderne sont au centre des idéologies de la gouvernance sociale et la pérennité des sociétés. Les pères fondateurs de la République d’Haïti, probablement s’attendaient à une forte coopération sociale et le placement des intérêts de la société globale au rang des intérêts supérieurs. Cent ans après, l’hymne nationale d’Haïti, la « Dessalinienne » conforte l’idée de la poursuite des idéaux d’une coopération stratégique  entre les kyrielles de parcelle communautaire du milieu qui ne se rendent même pas compte de leur existence, voir de leur divergence d’intérêts. Il est dit ceci dans le premier couplet : «  …  Marchons unis, marchons unis, dans nos rangs point de traîtres … ».

Trappe, ça et là, coups bas, par-ci par-là, en résulte une  Haïti qui recommence à chaque présidence. Le coopérativisme Dessalinien qui convoitait pourtant un idéal construit en un cumul historique est dissipé dans l’âme nationale. En lieu, d’un rêve haïtien de fierté, de prospérité, et d’unité, périodiquement, des événements sociaux rétractent la marche de l’histoire. Ils reviennent monstrueusement comme des artefacts, luisant comme l’image à travers le miroir, sans la moindre observation voire sans interrogation sociale. Cette attitude ne dénote-t-elle pas que cet image est un construit social ? A-t-on collectivement réfléchi sur l’étrange ressemblance des conjonctures qui ont occasionné le gâchis des deux festivités devant marquer l’une le centenaire, l’autre le bicentenaire de l’indépendance d’Haïti ? Pourquoi observe-t-on les mêmes caricatures événementielles depuis 1804 à nos jours ? Lwa al visite fanmi l ?

3.    Les indicateurs d’explication des parafaits et des paraphénomènes haïtiens

L’indicateur, par excellence des parafaits et paraphénomènes haïtiens, lit-on dans l’ouvrage, est l’instabilité politique chronique que connait le pays. Cela se traduit par la manière dont se succèdent les présidences : Assassinat ou empoisonnement, évincement ou coup d’Etat, destitution ou démission par des forces contraignantes etc. ;  La panoplie de constitution adopté par la le collectif haïtien de 1801 à 2011, soit 25 constitutions ce qui représente, en moyenne, une constitution chaque huit ans ; Après l’instabilité politique chronique, on peut considérer : l’exacerbation permanent de pouvoir politique personnel et absolu dans le pays; La dynamique du système sociopolitique à inverser la position des acteurs sociaux tantôt bourreau tantôt victime (le chasseur d’aujourd’hui sera le gibier de son gibier d’hier et donc la victime d’aujourd’hui deviendra le bourreau de demain), tantôt partisan tantôt opposant.

Le dernier élément que nous mentionnons dans la série d’indicateur des parafaits et paraphénomènes haïtiens est la détérioration de la situation socioéconomique du pays ainsi que la nature et l’aboutissement des protestations collectives. Car, remarque-t-on, l’haïtien s’accomplit socialement et économiquement mieux à l’extérieur du pays. Or, il est évident que le pays n’a pas de problème d’intelligence, d’imagination, de législation et de développement de concept social d’intervention. Pourtant, le réel social haïtien est ce qu’il est considéré comme collectivement indésirable.

Si nous analysons la conjecture économique haïtien, par exemple, nous comprendrons que l’un des grands problèmes du pays est l’émiettement / la parcellisation extrême des ressources de productions existantes. Tout le monde a peur de mettre leur ressource ensemble et de poursuivent des buts économiques communs.  D’ailleurs, on parle en « ti » on n’est pas prédisposé à penser gros : « M jwenn yon ti dyòb ; M ap fè yon ti biznis ; M gen yon ti kay ; M ap fè yon ti deplase. On connait le rapport entre langage et la pensée, la pensée et l’action.

Actuellement, l’expansion des parafaits et paraphénomènes peuvent se lire dans le rétrécissement considérable des possibilités de développement d’attitude de cohabitation et de coopération entre les membres des diverses horizons sociales. Si on regarde, par exemple, au travers de l’Université, du lycée, des soirées, des espaces de loisirs etc., ils se développent une grande tendance de polarisation sociale de ces espaces. Ce qui certainement a et continuera d’avoir des répercussions sur l’état de la coopération politique et économique des membres de ces différents pôles.

4.    Méthodologie et division de l’ouvrage

« Parafaits et paraphénomènes haïtiens : Analyse sur trois unités d’observation sociologique » propose au lecteur un regard critique sur des faits et des phénomènes qui sont un trait d’union avec la réalité actuelle du pays. Cette prospection n’a pas pour objectif de perpétuer un négativisme idéologique au point de considérer le réel social haïtien comme indéniablement obscur. D’ailleurs nous les traitons comme des objets de curiosité sociologique. De notre point de vue de sociologique, un fait ou phénomène social satisfait à une demande sociale. Il ne revient pas à la sociologie de le qualifier d’accomplissement négatif ou positif.

L’ouvrage utilise un style académique qui n’accepte pas que le rédacteur manifeste un sentiment d’acception ou de rejet par rapport aux faits et aux phénomènes qu’il étudie.  Le travail est divisé en trois parties. Dans la première : « Incurie des protestations collectives en Haïti de 1900 à 1956 » met en perspectives des événements afin de dégager le sens et le fondement des changements de régime. Dans la deuxième partie : « Université en Haïti : Cathédrales de la foi, Instrumentalisation / et la Victimisation politico-idéologique et Palace de la Science », les protestations universitaires sont transposées dans leur décor macro-social. Dans la troisième partie : « De l’idiotie à l’idiosyncrasie haïtienne » on met en exergue deux éléments, vraisemblablement divers, mais qui révèlent un aspect important des parafaits et paraphénomènes haïtiens. Premièrement, celui de mettre toujours le chien à la place du chat et de faire tire le chariot du bœuf par un caprin ; Deuxièmement, l’adoption de comportement en collusion avec les principes d’orientation clairement établis.

La méthodologie générale du travail est une combinaison deux perspectives de la démarche d’investigation en sciences sociales. Il s’agit de la démarche généralisante ou nomologique et de la démarche individualiste ou historique.  La première démarche est due au fait  que les finalités du travail tend à aider le lecteur à faire une généralisation, d’abord intra-sociétal et ensuite extra sociétale suivant l’existence d’une dominance des similarités sociales. D’ailleurs les conclusions font une généralisation sur l’Haiti d’hier et d’aujourd’hui, sans négliger le lendemain. La deuxième démarche est l’alibi méthodique de la première. D’ailleurs, les données que nous traitons sont placées dans leur contexte temporel et spatial. Nous essayons au maximum de ne pas substituer à l’historien, même s’il était éthiquement acceptable.

Nous avons donc fait des détours obligatoires pour expliciter les concepts de Parafaits et paraphénomènes haïtiens, nous utilisons dans chacune des parties une méthodologie adaptée. Nous espérons que le lecteur voudra bien comprendre ces détours méthodologiques que nous prenons le soin de présenter au début de chacune des parties. Dans la première partie nous utilisons la méthode historique ; Dans la deuxième partie la méthode génétique et dans la troisième la méthode fonctionnelle.

Tenant compte de la contribution passée et présente de ce pays à la culture universelle, de sa littérature sur tous les aspects, de l’évidence que le pays n’a pas vraiment de problème d’intelligence, d’imagination, de législation et de développement de concept social d’intervention, l’ouvrage oriente son développement à la recherche d’une réponse à une question centrale : Pourquoi Haiti n’arrive pas à conjuguer ses ressources pour créer une stabilité politique et décoller son développement ? Est-il effectivement un problème de dominance des Parafaits et paraphénomènes du milieu sur les idéaux sociétaux de bien-être et de développement collectif ? Il est certain, les parafaits et paraphénomènes sont les principaux vecteurs du recommencialisme permanent en Haiti. D’ailleurs, l’essence du discours social, en particulier, de la plupart des post décideurs est que : « Le prédécesseur n’a jamais rien fait, c’est moi qui vais faire ». Remarquez bien l’usage du moi et non pas le nous.

5.    Comprendre les Parafaits et paraphénomes haïtiens

L’ouvrage retient à travers l’histoire du pays : La faiblesse de l’organisation politique et d’autres structurations communautaires qui ne créent pas de condition d’émergence d’un idéal social haïtien.  Or, l’existence d’un idéal social est un élément avant-gardiste pour l’aboutissement positif des protestations collectives. Ensuite, on retient l’impromptitude et le manque de vélocité de l’élite haïtienne (politique, économique et intellectuelle) à se mobiliser à des moments politiques précis qui semblent opportuns à la satisfaction de la demande sociale. 

A.   Une société truffée de passager clandestin
Nous avons constaté que le réel social haïtien porte le velours d’une société à  « passager clandestin ». Pourquoi nous le qualifions ainsi ? Ce concept permet bien de comprendre l’handicape majeur à la formulation et à l’aboutissement des protestations collectives.

Le concept de passager clandestin est opposable à celui de désigné sous l’appellation d’ « action collective ». Dans cette dernière, il a l’idée de coordination consciente des activités afin de défendre les intérêts collectifs et renversé une situation défavorable à des valeurs et des buts s communs. Quatre sous-concepts sont intégrants de l’action collective : le concept de l’unité, celui de solidarité, celui de l’organisation et enfin celui de la responsabilité. L’échec ou le succès, le gain ou la perte dans une action collective est socialement partagé. La doctrine du communautarisme et du collectivisme sont les toiles de fonds de ce type d’action.

Le concept de passager clandestin a l’élasticité de traduire tant l’idée d’intérêts personnels, individuels incongrues avec des intérêts collectifs que des comportements parasites d’un ou de groupe d’acteur(s). On distingue au niveau de l’analyse et de l’interprétation quatre types de passager clandestin dans le réel social haïtien :

a)    Le passager clandestin aliéné ;
b)    Le passager clandestin stratège ;
c)    Le passager clandestin parasite ;
d)    Le passager clandestin plon gaye.

a)    Passager clandestin aliéné
Le « passager clandestin aliéné » est le membre d’une collectivité qui devient étranger aux affaires internes. Il ne sait même pas qu’il a un pouvoir de construction et de déconstruction de son environnement social. Il n’a pas une conscience d’acteur. On peut le considère comme étant un état d’anomie par rapport à sa réalité sociale.

L’observateur crédule désignera le passager clandestin comme celui qui ne se mêle pas des affaires d’autrui. «  Se yon nèg ki pa janm mele nan zafè moun non », ce voudra dire, très souvent, que cette personne n’est pas activiste politique ou communautairement engagé. C’est un type d’acteur qui à partir d’appareils idéologique d’Etat est neutralisé et mis hors d’Etat de nuire aux intérêts de groupes d’intérêts rivaux à son groupe d’appartenance. En dépit de son statut, l’aboutissement positif ou négatif des protestations collectives lui importe peu Tant mieux, si elles  aboutissent positivement, car elles lui seront bénéfiques autant qu’aux autres membres de la collectivité qui y ont prend part de manière active. S’il parvient à percevoir dans ce dénouement l’apport des protestations collectives, il le lira comme l’expression de la volonté de forces supra-humaines. Le stade d’évolution de ce type d’acteur peut être inscrit à la phase théologique, selon la sociologie d’Auguste Comte.

b)    Passager clandestin stratège 
Le concept de « passager clandestin stratège », pour sa part, prend en compte tous les acteurs qui établissent, au départ, un rapport cout / avantage / menace pour donner leur participation à une action collective. Plus le cout est élevé et les menaces sont évidentes, moins l’acteur sera enclin à fournir sa participation et vice-versa. L’engagement dans une action collective suppose que le cout de cet engagement est faible pour cette catégorie d’acteurs, par rapport aux bénéfices individuels attendus. Il signifie également que cet acteur des zones inaccessibles aux projectiles. Cependant, il se fera passer pour la plus grande victime quand cela le permettra d’en tirer profit. Il est un « acteur aux faux semblants ».

D’un point de vue tactique, le raisonnement tant au niveau individuel qu’au niveau collectif est rationnelle. Cependant celui qui agit en cette qualité d’acteur, qu’il soit qualifié de comportement rationnel, intelligent, stratège ou manipulateur, pervertie son comportement. Car sa participation aux protestations collectives n’est qu’une façade pour garantir un succès personnel.

c)    Passager clandestin parasite 
Le « passager clandestin parasite » est le membre d’une collectivité qui fait le raisonnement de dire qu’il est moins couteux et beaucoup plus efficace de laisser combattre les autres pour obtenir un résultat bénéfique souhaité. Cet acteur projette une image de neutralité en apparence qui fait luire une vraisemblance d’être au dessus des clivages sociaux. Ses intérêts se greffent facilement sur n’importe quelle couleur politique. Nous les qualifions aussi de « passager clandestin kamèleyon ».

d)    Passager clandestin plon gaye 
Le « passager clandestin plon gaye » n’est pas trop différent du passager clandestin stratège. Mais il a la particularité de pouvoir dissimuler ses pions à travers tous les espaces de pouvoir afin de garantir ses intérêts. C’est le cas de certaines familles dont leurs membres s’agitent à gauche et à droite, en haut et en bas afin d’être vigiles aux intérêts de leur bande. C’est aussi le cas, de certaines activistes de l’humanitaire, de la plaidoirie des droits sociaux qui sont dans les mêmes couloirs mafieux.

Ces acteurs s’affichent comme pour ou contre, opposants, ou comme des intégristes, bref dans des camps adverses. En réalité les passagers clandestin plon gaye ne font qu’agiter le devant de la scène de leur marché afin de drainer des ressources qu’ils partageront les dividendes dans la plus grande confidentialité. On retrouve ce type de passager clandestin, particulièrement, au niveau de la classe intellectuelle. Qualifié de classe moyenne par la sociologie marxiste, elle est considérée comme la plus dangereuse pour l’émancipation de la classe populaire.

B.    Des protestations collectives handicapées d’intérêts disparates et de comportement non avisé
On peut dire que les élites haïtiennes, selon les constats sur la période considérée, ne se comportaient que comme des stratèges affairistes et opportunistes qui ne cherchaient qu’à maximiser leur profit dans le marché des protestations collectives en Haiti. Exception est faite du mouvement indigéniste de 1946, qui témoigne d’une activation de l’élite intellectuelle du pays dans une mouvance sociale extraordinaire. En effet, l’élite généralement n’a pas été observée ni à gauche, ni au centre, ni à droite. Elles restent dans l’expectative pour tirer son avantage quelque soit le cas de figure. 

a)    Les registres des protestations collectives
In fine, on peut dire que les protestations collectives durant la période considérée s’inscrivaient dans trois registres de lutte, dont les deux premières sont en perpétuelle concubinage : Registre politique ; Registre économique et ; Registre libertaire. Ces trois registres se lisent sous quatre formes de luttes :

a)       Lutte pour le contrôle du pouvoir politique par des factions haïtiennes ;
b)        Lutte pour avoir le monopole du marché (import – export) et la gestion des ressources naturelles et financières ;
c)       Lutte par obsession pouvoir, de domination et de glorification;
d)       Lutte pour l’intégrité, l’indépendance du territoire nationale et la dignité de l’être haïtien.

b)    Une classe populaire naïve et une université encastrée dans les clivages sociaux
Un autre élément dominant que nous avons constaté qui handicape l’aboutissement positif des protestations collectives est la crédulité et le sensationnalisme de la classe populaire. L’intensité de la pression de la demande sociale de changement social décroit rapidement à l’évincement du ou des décideur(s) dans l’arène du pouvoir politique. Donc il n’y a pas un mouvement d’activisme soutenu et permanent pour accompagner les décideurs à la formulation des revendications exprimées à travers les protestions collectives. La présence d’un mouvement d’activisme structuré pourrait exprimer ces protestations sous forme de cahier de charge et indiquer aux décideurs les méthodologies de réponse. Donc, on peut se poser la question si les protestations collectives ne sont-elles pas le fruit d’instrumentalisation de groupes sociaux contre des ennemis politiques qui constituent des obstacles à leurs intérêts. Nous disons bien : Ennemi politique et non adversaire politique.

L’acteur du système qui pourrait jouer le rôle de tampon et faire en sorte que les demandes sociales puissent être argumentées et adressées correctement c’est l’université. Malheureusement, elle n’a pas encore joué ce rôle. Contrairement aux cités démocratiques dites « postmodernes » l’université haïtienne n’a pas joué son rôle institutionnel d’avant-gardisme pour donner le ton à l'économie, à la politique, à la garantie des libertés, au renouvellement et à la formation des ressources dirigeantes, au redressement des errances sociales. A être plus précis, il n’existe pas d’espace de création de débats scientifiques, non seulement l’aspect fondamentale, c’est-à-dire production de savoir pour le progrès de la science, non plus, sur aspect utilitaire c’est-à-dire dans la résolution de problèmes sociaux. L’université haïtienne n’a, principalement, pas contribué à la formulation d’une opinion publique avisée dans le pays.

Les savoirs qui sont produits au sein de l’université recèlent de l’effort individualisé. Ils ne font pas l’objet d’appropriation systématique des centres. En conséquence, ils ne sont pas validés ce qui leur donnerait l’étoffe nécessaire pour qu’ils ne soient pas ignorer dans les sphères décisionnelles. Comme on l’a constaté, l’université, à certaines conjonctures, donne l’apparence d’être complètement neutre, alors que dans d’autres elle prend des positions sans une argumentation scientifique basée sur sa mission.  On comprend donc que les positions exprimées recèlent d’idéaux non  politiquement innocents.

C.  Expression d’être conforme au biotope socio-matériel haïtien

Suivant la théorie du biotope socio-matériel développée, le réel social haïtien  répond à la conformité aux lois du même biotope socio-matériel. Ce qu’on y observe n’est que la projection des propriétés genito-fonctionnelle du biotope. Ce n’est pas un hasard quand nous portons notre regard sur l’univers sociétal haïtien, nous constatons que depuis longtemps le répertoire du jeu des acteurs sociaux du pays, en particulier citadins, est caractérisé principalement par :

·            Le privilégiement de la violence : « Konstitisyon se papye, bayonèt se fè » comme moyen de combat politique, d’évincement, d’accession et de conservation du pouvoir ;
·            L’obligation d’action de recourir à la politique : « koupe tèt, boule kay » pour que le cri des plus vulnérables / pauvres, « pye sal », les revendications populaires, le plus souvent justes, soient entendus ;
·            La rupture, à chaque présidence, avec tout projet qui pourrait rappeler le régime précédent, même si ces projets constitueraient une priorité nationale. C’est effectivement un pays où l’on recommence à chaque événement ;
·            L’aisance dans la pratique politique de récupération, à son compte personnel, du succès des actions collectives ;
·             La culture d’irresponsabilité ou de renvoient de la balle de l’échec à l’adversaire : « Se pa fòt pa m si pa fè, yo pyeje teren an » ;
·            La pratique d’un familialisme et d’un « groupisme », prostituée par un étrange individualisme : « Tout koukouy klere pou je w. Sa frize te fè pou koukou pou l fè pitit li pou l rele l frizelya ? » ;
·            La politique de destruction, de martyre, d’humiliation des valeurs du pays parcequ’ils ont les potentialités pour être d’éventuels concurrents ;
·            L’ingratitude envers les dévoués à la cause de la nation : « La reconnaissance est une lâcheté », répète-t-on souvent ;
·            L’insouciance de la dignité l’autre : L’haïtien d’á coté, y compris celles pères fondateurs de la patrie. Imagine, par exemple, jusqu’à présent il n’a jamais eu de cérémonie officielle de l’enterrement de l’Empereur Jean Jacques Dessalines père fondateur de la patrie ;
·            Le partage de la misère et non de la richesse : « Fòk wòch nan dlo konn doulè wòch nan solèy ». Pourquoi pas : « fòk dlo a koule fre pou tout moun ? » ; 
·            L’agitation de cloisons sociaux : « Nèg an wo, Nèg anba ; Nèg lavil, nèg andeyò ; Ti wouj, ti nwè…. » ;
·            L’accommodement à une politique de désinvolture, de clientélisme et de pratiques administratives compromettantes et occultes ;
·            La méfiance généralisée et le refus de pardon : « Bay kou bliye, pote mak sonje » ;
·             La culture de l’irrespect de la parole donnée, ce qu’on peut appeler : «  Jwèt  mètdam » ;
·            La timidité dans la communication intra et intergroupe : « Chèf pa pale, se lòd li pase » ;
·            Enfin, l’excès d’expression de sentiments élémentaires d’une rare primitivité;

Le réel social haïtien manifeste l’imprégnation de son conditionnement socio-matériel, et son intensité dépend de facteurs circonstanciés, conjoncturels / temporels ou permanents qui en sont les déterminants.

6.    Conclusion

Nous n’avons pas la prétention de contribuer ni à l’emménagement ni au déménagement de quiconque, même si nous sommes d’avis qu’exercer la sociologie peut faire les deux par ses quatre vérités. Tout au cours de l’ouvrage nous avons essayé de faire notre cette pensée  de Pierre Bourdieu disant que : «  Le sociologue a la particularité, qui n’a rien d’un privilège, d’être celui qui a pour tache de dire les choses du monde social et de les dire autant que possible, comme elles sont : rien que de normal, de trivial même en cela ». N’est-il pas vrai que l’actualité haïtienne d’aujourd’hui est encastrée dans le biotope socio-matériel haïtien ?

Bref, le biotope socio-matériel haïtien est complètement émietté et distant : « Nèg anwo, nèg anba ;  Nèg lavil, nèg andeyò ; Jan lespri, Jan sòt ; Nèg rich, nèg pòv ; Ti wouj, ti nwa », autant d’univers social qui de l’intérieur n’ont rien d’homogène, de stable et cohésion sociale. Il est vraisemblable que la multiplicité ethnique du pays : Amérindienne, européenne, africaines, et plus récemment d’arabes et le rétrécissement des espaces de communion de ces différentes ethnies ne facilitent pas le développement de liens sociaux suffisamment forts au niveau national pour formuler et agencer la coopération extra sociétale. Cependant, ce sont les stratégies individualistes, donnant l’allure de stratégie intra groupe,  pour défendre des intérêts particuliers qui sont les plus marquants dans la systématisation compréhensive des protestations collectives en Haïti. Les liens sociaux se développent dans un cadre sociétaire de rationalité  marchande.

Comme nous l’avons dit, c’est une société truffée de  passager clandestin, d’attentiste et d’opportuniste. En conséquence, on ne peut pas poser le problème d’Haïti comme étant lié à une multi diversité communautaire à l’intérieur de la société. Il serait plutôt un problème de formatage idéologique du processus de gestion des ressources politiques, économiques et sociales. Par contre, l’absence d’un activisme structuré devant faciliter l’expression soutenue et l’aboutissement des protestations collective est certainement liée à la multi diversité communautaire en Haïti. Or, la société haïtienne, en comparaison à d’autres, est à une phase de moyennisation suffisante pour espérer un tel développement.

Tant que l’haïtien ne fait pas sien cet adage qui dit : « Quant on commence à labourer on ne s’arrête pas qu’avant d’avoir abouti devant le Silo » et que les décideurs politiques reconnaissent que le / leurs prédécesseur(s) est / sont un maillon du chainon, le pays continuera d’être ce qu’il est sur les plans : Politique, économique et social. Rien de mystique, ni de  théologique. Il s’agit d’une loi sociale « triplicielle » qui s’énoncerait ainsi : « Tout réel social, passé, présent et futur, a été, est et sera collectivement, matériellement et spatialement construit  suivant un processus tri-temporel : Construction, déconstruction et reconstruction ».  Bien sur, ce processus se réalise avec la dominance du social sur le matériel et le spatial. Car c’est le premier qui crée les outils matériels et aménage les espaces. ***

Jean Laforest Visene
Professeur à l’Université d’Etat d’Haïti
Sociologue, M.A Sciences du Développement