mercredi 9 février 2011

Quand le Dr Wilfrid Joseph opinait autour des obstacles au développement endogène d'Haiti


Publié in dans la revue L'indigène, Faculté d'Ethnologie, Université d'Etat d'Haïti, Nov. 2007 et sur http://fr.groups. yahoo.com/ group/Haitianpolitics.

Quand le Docteur Wilfrid Joseph opinait autour des obstacles au développement endogène d’Haïti !

Par : Prof Jean Laforest Visené

Le feu Docteur Wilfrid Joseph, diplômé de la Faculté des Sciences Agronomique de Gembloux (Belgique) et de l’Université du Québec (Montréal-Canada) , prêtait ses services à titre de Professeur de « Stratégies Développement Endogène » à la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’Etat d’Haïti, avant de devenir Directeur du Département des Sciences du Développement à cette faculté. Ce talentueux professeur ne ratait jamais l’occasion de livrer son opinion sur la préoccupante question de stratégie à mettre en œuvre pour parvenir au développement réel d’Haïti. C’est avec beaucoup d’enthousiasme, dans un cadre d’entretien, qu’il nous a livré ses opinions sur les facteurs qui constituent des obstacles au développement endogène du pays peu de temps avant sa mort. Avec des commentaires personnels intégrés, nous avons le plaisir de partager avec vous sa perception par rapport aux obstacles au développement endogène d’Haïti.

Le Dr Wilfrid Joseph a identifié sept (7) obstacles majeurs obstacles au développement endogène d’Haïti. Il s’agit de : L’immobilisme social ; l’absence d’idéal et de mission ; la mentalité de suivisme qui caractérise la plupart de nos dirigeants ; le système d’enseignement inadapté aux véritables besoins de notre milieu ; le comportement irresponsable des « élites » haïtiennes ; le manque de préparation pour rentrer dans la mondialisation ; l’héritage colonial très compromettant ; A ceux-là s’ajoute : les projets anti-développemental istes implantés dans le pays ; Enfin, l’uni-polarité du monde. Bien avant, qu’est le développement endogène suivant la perspective du Dr Joseph.

1. Définition du concept de développement endogène
Le développement endogène d’après le Dr Joseph, est : « une stratégie de développement qui s’articule autour de l’actualisation ou de la mise en valeur de ce que l’on a, de ce que l’on est et de ce que l’on veut devenir. Cette stratégie, d’après lui, implique le droit et même le devoir, sans aucune forme d’autarcie poussée à outrance et sans fins, d’établir les grandes priorités sectorielles et nationales sans rejeter la modernité ».

Eclaircissons davantage en disant que le développement endogène est un développement dont la genèse, la mise en œuvre, le fonctionnement et les sphères d’intervention sont déterminés par la population et les élites locales. Il est diligenté de l’intérieur, centré sur le milieu et conduit suivant les orientations internes. Cela n’exclu aucunement l’aide externe, en particulier le financement et l’utilisation de ressources humaines externes. Il ne faut pas penser non plus que le développement endogène néglige certains ensembles de besoins. Mais, il les établit par ordre de priorité : d’abord, ceux des zones rurales et de leurs habitants ; ensuite, ceux des communautés nationales, considérées dans leur ensemble ; et enfin, ceux du système international. Nul ne pourrait arriver à un développement réel sans admettre l’importance de ces trois ensembles et planifier en conséquence. De plus signalons que pour nous, on ne peut pas parler de développement endogène sans tenir compte de l’ « enracinement » populaire, en particulier de ses aspects culturels.

Analysons, maintenant et particulièrement, les facteurs mentionnés par le docteur Wilfrid Joseph comme étant des obstacles au développement endogène d’Haïti.

2. Immobilisme social
Le premier, l’immobilisme social, porte l’empreinte de notre système éducatif moribond, de la classe dominante apatride et de la religion qui développe chez l’Haïtien une mentalité de résigné.

En effet, Paul Moral dans l’Economie haïtienne (1958) et Edouard Francisque dans Perspective de développement économique en Haïti (1968) ont tour à tour soulevé ce problème en le présentant comme un handicap majeur au développement réel du pays. Paul Moral disait que : « si la production globale est faible c’est parce que l’Haïtien croit à un ordre naturel qui évolue et arrange tout ». Ce qui d’après lui «postule l’Haïtien dans la pratique de la résignation, la passivité et la soumission au fatalisme ». Quant à Édouard Francisque, il parle d’une «barrière psychologique que constituent la méfiance et le conservatisme du paysan qui ne se laisserait pas entraîner facilement dans la libération du sol des entraves de ce morcellement excessif en faisant sauter les barrières de haie vive ». Il est d'une évidence certaine que le professeur Wilfrid Joseph a raison de mentionner ces aspects comme obstacles au développement endogène d’Haïti.

Nous devons également souligner qu’à coté de l’immobilisme social, il y a celui du refus de l’Haïtien de l’intérieur, en particulier l’élite intellectuelle, de s’affirmer comme tel. Ce qui, de toute évidence handicap le développement endogène du pays. Car, ce type de développement est axé sur le principe de l’acceptation de soi par soi. Il est évident que l’Haïtien de l’intérieur cherche à se poster comme étranger à sa propre culture. Derrière ce comportement se cache, certes, un problème de manque d’estime de soi mais, et surtout d’affirmation de supériorité de soi par rapport aux autres. Ce qui dénote le miettement du tissu social haïtien. En s’affichant comme l’autre, en particulier l’occident, il vous dit qu’il ne vous ressemble pas, en conséquence, supérieur à vous. Drôle de contraste, cependant, l’Haïtien quant il est à l’extérieur s’affiche et s’impose comme tel.

3. Absence d’idéal et de mission
Le second aspect, l’absence d’idéal et de mission qui s’exprime par l’absence d’un cadre macroéconomique bien défini, répond à tous les critères pour qu’il soit considéré comme facteur d’obstacle. A cet effet, le professeur Wilfrid Joseph est d’avis qu’un peuple sans idéal, c’est-à-dire sans rêve, est un peuple sans avenir. Or, les rêves sont à la base de tout devenir social. C’est pour cette raison que certains estiment qu’il faudrait, développer un destin de grandeur chez l’Haïtien.

Il est à signaler qu’en fouillant dans les archives nationales et ministérielles, on ne retrouve que deux plans quinquennaux de développement ; donc, l’Etat haïtien n’a jamais eu de projets de société. Alors qu’en principe c’est l’Etat, à travers ses représentants, qui définit le type de société à devenir et se dote des moyens nécessaires pour y parvenir. Le professeur Joseph a raison d’estimer qu’on ne peut pas développer un peuple qui n’a pas d’idéal, d’autant plus si ses leaders n’ont pas de mission, d’idéal et de conviction.

4. Mentalité de suivisme
Le suivisme irrationnel, cette tendance à nous aligner béatement sur la position des autres sans même discerner les intérêts qui sont en causes, constitue un obstacle majeur à notre auto-développement croyait le professeur Joseph. En Haïti, effectivement, il est malheureux de constater qu’on s’affiche ou qu’on s’identifie à un courant sans être convaincu qu’il s’agit d’un choix raisonnable. Il n’est pas étonnant que beaucoup d’haïtiens aient été « macoutes » non pas par doctrine mais par suivisme, de même que beaucoup avaient été « lavalassiens » ou « titidiens » sans savoir pourquoi. Aujourd’hui encore, certains choisissent d’être à coté du régime en place non pas par conviction et / ou rationalisme, mais par suivisme.

D’après le Dr Joseph, ce facteur de suivisme est beaucoup plus dangereux quand c’est au niveau du sommet de la hiérarchie qu’il se manifeste. Il arrive souvent, explique le professeur Joseph, que nos décideurs, toujours par cette seconde nature de suivisme, importent des modèles de l’étranger et les appliquent sans tenir compte de la réalité haïtienne. Effectivement cette mentalité de suivisme est un obstacle au développement endogène d’Haïti d’autant plus qu’il nous amène à ne valoriser que ce qui vient de l’étranger.

5. Système d’enseignement inefficace
Que dire du système d’enseignement haïtien, répond-t-il aux besoins réels du milieu ? En d’autres termes, s’articule-il autour des grands axes devant conduire à un profil professionnel d’un citoyen haïtien qualifié pour servir son pays ou lui prépare-t-elle à l’exil ? En effet bien des questions se posent sur la finalité de l’école haïtienne. Le professeur Wilfrid Joseph se pose les mêmes questions ; en s’inquiétant de l’antagonisme entre la finalité, les objectifs, les résultats attendus dans notre système d’enseignement et les besoins réels du pays.

En fait, nous nous demandons si l'école haïtienne, dans son conditionnement actuel, pouvait permettre l'émergence d’ « états majors » capables d’étudier, d’élaborer et de conduire une véritable stratégie de développement endogène ? Nous nous demandons également où sont placées dans notre système éducatif les passerelles de formation professionnelle ? Où sont formés nos cordonniers, nos menuisiers, bref, nos artisans ? S’agit-il d’une école bloquée, dépassée, d’exode ou d’exotisme. De toute manière cette école haïtienne d’aujourd’hui ne nous conduira pas à un développement endogène. L’agronome Joseph a bien fait de l’indexer d’obstacle à notre auto-développement.

Toutefois, il judicieux de souligner que beaucoup de produits du système d’enseignement haïtien ont brillé et brille encore par leur science dans des « hauts lieux » à l’extérieur. Pourtant, les placer dans les mêmes fonctions au niveau local on les voit tergiverser. On dirait que la délocalisation de la fonction provoque une déficience du savoir-faire. Certainement, ce n’est pas la même configuration sociale mais, c’est incompréhensible que ces éminents technocrates n’arrivent pas à apprivoiser leur milieu. Cela voudrait dire qu’à coté du problème du système d’enseignement haïtien il y a lieu d’explorer la thèse de la manipulation exogène, sans faire référence à un certain fatalisme.

6. Comportement irresponsable des élites haïtiennes
Le comportement irresponsable des élites haïtiennes est en fait le nœud gordien du mal développement local. On ne comprend pas, par exemple, le comportement de l’élite économique au lieu d’être l’allié du développement du par l’injection de capitaux dans l’industrie locale se contente de jouer le rôle d’intermédiaire entre les producteurs étrangers et les consommateurs haïtiens. Le professeur Joseph s’est demandé : « Pourquoi ne produise-t-elle pas dans la plaine des Cayes, de Jean Rabel et d’ailleurs le riz dont l’écoulement sur le marché local est pourtant assuré ? Pourquoi avec la complicité des hommes politiques locaux, elle a entraîné la fermeture des usines sucrières, alors que le taux en saccharose de la canne cultivée dans le pays était parmi les plus élevés en Amérique ? ».

Dans cette même ligne de mire le professeur Joseph a fait remarquer que notre pays importe des oignons, des bananes, des noix de coco, du miel, du maïs, du soja, pourtant le sol national est capable de satisfaire la demande locale et même pourrait trouver un surplus pour l’exportation. Pourquoi a-t-on liquidé la cimenterie nationale pour importer du ciment mis en place dans des sachets baptisés « Ciment Varreux » ? Pourquoi certaines productions, en particulier, culturelles et textiles, fabriquées en Haïti sont exportées avec la griffe « made in Jamaica" ou "made in Dominican Republic » etc. ?

Pourquoi l’importation des « Pèpè » si ce n’est que pour mettre au chômage nos tailleurs, nos couturières, nos menuisiers et nos cordonniers ? Pourquoi n’a-t-on pas cultivé nos plantes médicinales pour notre consommation interne et pour l’exportation ? Pourquoi sommes-nous contraints d’importer de l’ail de la citronnelle, du coton, pour ne citer que cela alors que nos conditions écologiques se prêtent bien à ces cultures. Et que dire de l’aloès, qui servait autrefois comme purgatif et en teinturerie ?

Le docteur Wilfrid Joseph a condamné cette hypocrisie de nos élites qui ne sont, en fait, que des agents du sous-développement, par conséquent, responsable de la crise socio-économique profonde que connaît notre pays. Il y a donc une complicité manifeste des élites haïtiennes pour que ce pays état lamentable et dépotoir, et n’arrive pas à un développement endogène.

7. Manque de préparation pour entrer dans la mondialisation
Il est vrai qu’avec la mondialisation, ce sont les grandes entreprises qui sont entrain de diriger le monde. Cependant, la mondialisation n’a pas que des aspects négatifs. Un pays préparé peut en profiter pour étendre son marché. En effet la mondialisation nous donne l’opportunité à rentrer en compétition avec les autres par nos productions en mettant en place une politique de substitution à l’importation. L’Etat se doit de créer les moyens pour faciliter les investisseurs locaux, de la diaspora et de l’étranger dans les secteurs porteurs de développement. Mais le manque de préparation d’Haïti ne ferait d’elle, dans ce cadre de mondialisation, qu’une simple consommatrice de la production externe.

A l’heure d’une remise en cause de notre existence l’endogénisme bien articulé est la seule voie de développement effectif du pays. Parvenu à l’uni-polarité le Dr Joseph croit qu’aujourd’hui ce sont les grandes entreprises multinationales qui dirigent le monde. Or, les pays riches se contentent comme l’affirme Maurice Guerrier dans La dernière chance du monde (1968), de distribuer … une aide qui ressemble fort à une aumône. Ayant verse cette obole et s’étant donné bonne conscience, ils laissent aller …. Et il ne se passe rien. Aujourd’hui apparaît clairement la priorité de la coopération supranationale sur le principe de l’indépendance nationale. La mondialisation si elle est mal abordée peut constituer effectivement un obstacle au développement endogène du pays. Mais bien avant ces facteurs d’obstacle il y a un facteur autant important que les précédent c’est celui de l’héritage colonial.

8. Héritage du passé colonial
Cette thèse part de l’idée que les Français n’ont pas laissé suffisamment de structures qui pouvaient favoriser le progrès économique et social de la république d’Haïti. Si c’était une colonie anglaise cela aurait été différent, pensent certains. Certainement !

Il y a deux aspects de l’héritage colonial qui ne sont pas favorable au développement endogène d’Haïti. Le premier aspect est celui du type de colonie de la France qui suivait une logique d’exploitation pure et simple contrairement aux anglais qui avait une logique de peuplement. Le deuxième aspect touche les conditions dans lesquelles nous avons pris notre indépendance. La plupart des biens de la colonie sont parties en fumée avec la stratégie le fameux slogan : « Koupe tèt, boule kay ». Suivent les troubles politiques intestines qui ne favorisent pas la reconstruction infrastructurelle de l’espace et enclencher un processus de développement endogène.

9. En guise de conclusion
Au cours de cet article, nous avons rapporté et commenté sept (7) obstacles majeurs au développement endogène d’Haïti identifié par le docteur Wilfrid Joseph. Ce sont : L’immobilisme social ; l’absence d’idéal et de mission ; la mentalité de suivisme qui caractérise la plupart de nos dirigeants ; le système d’enseignement inadapté aux véritables besoins de notre milieu ; le comportement irresponsable des « élites » haïtiennes ; le manque de préparation pour rentrer dans la mondialisation ; l’héritage colonial très compromettant. D’autres facteurs tels : les projets anti-développementaux implantés dans le pays, l’uni-polarité du monde, la déficience de la classe politique, la manipulation de forces extérieures doivent être aussi suspectés.

Présentement, que doit-on, faire pour sortir Haïti de son bourbier et enclencher un véritable développement endogène ? Certainement, on ne pourra pas répondre convenablement à cette question ici. Mais, on avance quatre prérequis indispensables à la définition d’une politique de développement endogène :
·        D’abord, il faut une volonté réelle de développer ;
·        Des choix politiques ;
·        La valorisation de soi (notre haïtiennetée) et de la production nationale ;
·         Et enfin, la définition d’un cadre macro-économique de développement.

Il faudrait également, à force d’actions rationnelles, méthodiques et calculées, bâtir une mentalité de progrès chez l’Haïtien. Un seul mythe dans le dispositif et tout serait compromis. Enfin, il faudrait, comme dans la logique de Bossuet, que l’Haïtien arrive à un niveau de maturation où il prend les choses pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’il voudrait qu’elles soient. Ainsi, croyons-nous, les bases seront posées pour ouvrir la voie au développement endogène d’Haïti post temporis Josephienne.

Jean Laforest VISENE
Professeur à l'Université d'Etat d'Haïti (UEH)
Sociologue, M.A. SC. Dev.
COLLECTIF EDUCA-DEV (COED)

 

 

1 commentaire:

  1. je recherchais Mr joseph wilfrid que j'ai connu en afrique un ingénieur en agronomie je pense que c'est cette personne et je suis navrée d'apprendre son décès. mes neveux sont ses enfants nous n'avons plus de nouvelles et ce n'est pas agréable pour le développement futur de ses enfants.

    RépondreSupprimer