mercredi 23 novembre 2011

HAITI : QUAND LE SEXE SERT D’APPAT DANS LES PUBLICITES

HAITI : Quand le Sexe Sert D’appat dans les Publicites

Par Jean Laforest Visené.-
Capter l’attention et pousser le spectateur à la consommation d’un produit, telle est la finalité de toute publicité ! Claudio Benedetti et Al. la définit comme des messages crées par des équipes multidisciplinaires visant à modifier le comportement de ses cibles(1). Jean-François Pelletier, pour sa part, la conçoit comme « l’art et la science d’amener un public à acquérir  quelque chose » (2). Mais à quel prix et avec quel impact sur le social et en particulier sur le processus de socialisation des enfants, des adolescents et des jeunes ? Dans cette perspective, sans avoir la prétention d’être normatif, il est nécessaire de distinguer la bonne publicité de la mauvaise ; Celle qui serait éthiquement correcte de celle cataloguées dans la série des publicités, certes, sensationnelles mais, impudiques. Cet article analyse les publicités se présentant sous un format d’usage de la sexymanie et de la métalinguistique afin d’explorer leur possible impact sur le social haïtien.

Quel est le sens du concept sexymanie et celui de métalinguistique ? La sexymanie est, pour nous, cette tendance à l’instrumentalisation de la sexualité, de l’érotisme, du fantasme et de la sensualité à des fins de commercialisation et de consommation. La sexymanie est, en fait, du sexe-imagerie. A la seul différence que la première est une conception de la stratégie publicitaire, alors que le second est l’art de l’exposition du message dans un décor de satisfaction de fantasme et de réjouissance, défiant les tabous et les interdits sociaux. Quant à la métalinguistique, elle recèle de l’usage d’une forme langagière, anormale, comique et pathologique (3) afin d’attirer l’attention sur un message. Elle inclut une forme de paralinguistique. Elle est, à coté de la parole, l’usage d’autres moyens comme complément du message, combinant l’humoristique et l’esthétique. La sexymanie et la métalinguistique sont loin d’être qualifiées d’exaltation de la splendeur de la jeuneuse comme inspiration de la quiétude et de l’espoir, de l’imagerie limpide, de l’éclat de la parure physique et du langage articulé utilisés dans les traditions classiques publicitaires.

Observe-t-on une forme de publicité que l’on peut qualifier de sexymanie et de métalinguistique en Haïti ? Si elle existe, y a-t-il une éthique qui la censure ? A qui reviendrait la responsabilité d’y remédier ? Autant de questions que nous essaierons de mettre en relief dans cet article. Nous tenons à prévenir le lecteur que ce texte n’a pas la prétention d’être un exercice approfondie de psychosociologie de la publicité en Haïti. Il n’est pas, non plus, une analyse de sa qualité sous ses divers angles. L’article ne fait que relater certains aspects qui peuvent avoir un impact sur le processus de socialisation des enfants, des adolescents et des jeunes en Haïti et aussi qui font perpétuer des stéréotypes contraires à la dignité humaine de la femme.

  1. Danger de développement d’habitus axé sur le sexe

A l’ère du Babel d’informations qui circule à travers les médiums et dans un environnement envahi par l’aire d’une extrême agressivité pour l’accaparement du marché, les entreprises ne peuvent pas  se passer des services de séduction et de manipulation douce de la publicité de masse (4). Certes, la critique marxiste perçoit la publicité comme l’instrument de la domination d’une classe sur l’ensemble de la population. La publicité peut séduire le potentiel consommateur et dans certains cas est  de la poudre à ses yeux (5). D’ailleurs, ils sont très rares les publicités qui vantent les qualités du produit. Certes, ce n’est pas cette motivation qui nous incite à qualifier certaines publicités de sexymanie et de métalinguistique. C’est plutôt le fait d’instrumentaliser la sexualité à une fin publicitaire. A ses cotés chevauche l’ironie langagière et une fausse sagacité. Petit à petit, on observe que cette forme se repende à travers la radio, la télévision, les panneaux d’affichage publicitaire, les espaces publics, l’imprimé de presse et les emballages des produits locaux.

Si on fait l’exercice d’interpréter les images, les gestes, les mimiques, les photos, les couleurs qui les animent, les contrastes qui les augurent, les musiques qui les entrainent, les slogans, les paroles, les mouvements des acteurs, on lira ce que les enfants imprègnent quotidiennement comme message ayant une facture socialisante. Ils les consomment avec appétit. Quel pourrait être l’effet de cette imagerie publicitaire sexiste, perverse et métalinguistique sur ce groupe de spectateurs ? Premièrement cette forme de publicité peut provoquer le développement d’habitus contraires à la morale sociale locale et universelle (6) ; Deuxièmement, elle peut estomper le développement de la personne, car elle est en collusion avec le respect de la dignité et de la personne humaine ; Troisièmement, dans le cas des publicités sexistes, elles peuvent semez, chez les enfants, adolescents et jeunes, les germes de violence liée au sexe, et pour les formules métalinguistiques, elles peuvent développer, chez les moins de 10 ans, un discours et un langage pervertis au regard du code du langage régulier, reconnu et accepté au moins par la moyenne de la société.

Précisons que d’une manière générale, l’habitus désigne l’ensemble des manières de penser et d’agir qu’on acquiert au cours du processus de socialisation dont la période de l’enfance est essentielle (7). Dans la sociologie de Pierre Bourdieu (Sociologue français), l’habitus désigne un ensemble de dispositions durables, génératrices de pratiques et de représentations acquises au cours de l’histoire individuelle et qui peuvent être différentes suivant les trajectoires sociales de l’individu (8). Il est évident, en raison de leur expansion et tenant compte du principe de l’interactionnisme symbolique, le comportement humain n’est pas une simple réaction à l’environnement mais, le résultat d’un processus interactif de construction de l’environnement » (9). Précisons aussi que l’habitus, étant une notion du champ de la socialisation, suppose que la conscience du sujet, son estime de soi,  ses capacité d’analyse et d’interprétation du monde social qui l’entoure et sa coopération dans cet environnement, bref, ses reflexes, sont en diapason avec les propriétés des espaces publiques (sa participation / intégration / implication dans des activités sociaux, les signes visibles de son environnement, …) dans lesquelles il a été et est exposé.  Donc, tout ce qui existe dans l’environnement d’un individu participe au signet de sa carte d’identité sociale, détermine sa manière de coopérer avec autrui et de participer aux activités sociales.

Il est évident que la publicité  avec le support des masses medias, des nouvelles technologies de l’information et de communication, en particulier des medias chauds, devient une important modulateur de l’identité, factoring des habitus, bref, source d’expression de soi et de norme sociale. Il a lieu de souligner que l’identité, au même titre que les habitus, se renouvelle surtout à travers l’environnement géographique et social que l’on appelle le biotope socio-matériel (10).

  1. Archétype des publicités ciblées

Comment peut-on identifier les publicités qui peuvent être rangées dans la catégorie de celles qualifiées de sexymanie et de métalinguistique ? Pour y parvenir, nous tentons de construire, ici, un modèle-type de ces publicités. Précisons qu’il n’est pas exhaustif. Nous pouvons identifier ces publicités suivant l’inclusion d’une ou des caractéristiques ci-dessous dans leur contenu :

a)      Utilisation des parties génitales et sensorielles : Les seins, les fesses, et de l’appareil génital reproducteur comme appât pour attirer l’attention du spectateur. Comme le fait remarquer William Endres et Christophe Hug, elles réduisent la personne à ses parties. Et d’après lui, cela s’approche de la convention de la pornographie (11).
b)     L’association de l’alcool au sexe et parfois à l’abus de la sexualité, du martyr de la femme par l’effet aphrodisiaque du produit ;
c)      L’amalgame du besoin de travail masculin et de la sensualité féminine. Cet aspect présente la femme comme la principale motivation de l’effort du mâle ; N’est-il pas fait remarque que dans la plupart des cultures les femmes ne votent pas massivement pour les femmes non pas parce qu’elles ne sont pas compétentes mais, parce que la perception collective est que ce sont les hommes qui ont la force de lutter et de diriger ?
d)     L’assujettissement de la femelle au pouvoir du mâle, qui lui est souvent présenté sous un joug séducteur,  dominateur, protecteur et manipulateur ;
e)      La déformation du langage familier et régulier. Quand on analyse ces publicités sous l’angle de communication orale on constate qu’on utilise une forme d’expression vraisemblablement amusante, comique et distrayante à l’opposé du code d’expression officiel
f)        L’exposition des acteurs avec une parure physique aux bizarreries étrangement semblables au déguisement du mardi gras ;

Par ailleurs, on peut constater dans les publicités au caractère sexymanique et métalinguistique le rôle de l’homme est  toujours être le messager du produit visé par la publicité. La femme et l’homme sont, certes, placés dans les mêmes décors sexualisant l’objet de la publicité mais, ils sont posés à des rangs différents. On observe que la voix n’est jamais l’affaire de la femme mais de l’homme. Ce n’est sans incidence diraient certains. Mais, combien de clichés discriminants se sont développés à partir d’énoncée vraisemblablement innocentes (12). Il ne fait pas de doute que parler est une expression de pouvoir. Sans être excessif, l’associé à un décor sexiste ne fait que contribuer à perpétuer cette perception : La femme est une chose conçue pour le plaisir de l’homme-mâle.

  1. Comment faut-il interpréter l’existence de ces types de publicités sur le marché haïtien ?

Il n’existe pas un canevas interprétatif des faits sociaux ou d’une réalité social. Il revient au sociologue de l’ordonnancer suivant sa démarche de conquête, de construction et de constatation de son objet d’étude. Voilà pourquoi notre interprétation ne se limite qu’aux aspects liés à l’environnement social haïtien et à la pratique externe en matière de marketing. Notre souci, ici ce n’est pas de savoir s’il y ou pas,  une volonté de défier la norme sociale et de porter atteinte aux groupes les plus sensibles et à risque dans la société haïtienne. C’est plutôt de comprendre pourquoi cette forme de publicité est entrain de se tailler une place sur le marché haïtien.

 Cette forme de publicité s’inscrit dans une stratégie basée sur la maxime : « La fin justifie les moyens ». Dans un souci d’éviter de passer inaperçue et briser la monotonie les agences et les publicistes / annonceurs cherchent à être créatifs et innovants. D’autant plus que les recherches montrent que le spectateur développe naturellement un mécanisme d’immunité mentale défavorable à la publicité. Un autre aspect interprétatif de son existence en Haïti est l’aire mondiale en la matière. La tendance des grandes marques occidentales et capitalistes, s’inspirant du «  porno chic » depuis 1990 (13), est de présenter les femmes et les hommes, de manière érotique pour amadouer le marché. C’est le cas de Kalvenn klinn (14) avec son fameux message l’innocent est « sexy », agitant son concept de « la vierge sexy » et utilisant des images de jeunes adoptant des poses provocantes. C’est aussi le cas de Bersache, dans la mise en scène de Bandadona, associant la douleur et la violence à la séduction et à la fascination. Dans d’autres on montre les femmes comme des objets sexuels bon à regarder, des petit jouets pour et fleur pour le rayonnement de l’homme et elles mettent en relief des relations de domination, de pouvoir en raison du type de consommation.

Il est clair que cette forme de publicité n’est pas, strictement, un fait haïtien, en dépit des propriétés internes de ces produits et du fait qu’elle n’est pas nouvelle en Haïti (15). Elle encastrée dans des pratiques publicitaires au niveau international. Néanmoins, il faut comprendre son intrusion sur le marché haïtien à cinq niveaux de responsabilités :

a)     L’état qui est à la fois régulateur de la publicité et protecteur de la société et du citoyen ;
b)     Les annonceurs de ces types de publicité ;
c)      Les agences de publicité ;
d)     Les medias, chaud ou froid, qui diffusent ces messages et les rendent consommables ;
e)      Les entreprises pour lesquelles ces publicités sont produites ;
f)        Le reste de la société civile qui n’est pas assez sur ses gués pour alerter et sanctionner les impairs à la norme sociale haïtienne.

Cinq pistes méritent d’être approfondies pour agir sur le problème.  Premièrement, les entreprises bénéficiaires, si elles en sont effectivement, n’auraient pas plan de marketing basée sur les spécificités du marché haïtien ; Deuxièmement, les agences-conseils en matière de marketing ne seraient sollicitées qu’à titre de distributeurs des publicités de ce ses entreprises ; Troisièmement, le contrôle de la qualité du message, son impact et sa conformité à la morale universelle ne serait pas effectué, ni par les entreprises bénéficiaires, ni par les entités étatiques qui sont censés être les principaux garants du bien-être social ; Quatrièmement, sans se douter de la qualité des produits des entreprises mises en vitrine par ces publicités, les entrepreneurs ne bénéficieraient pas une bonne estimation de leur offre aux consommateurs ; Cinquièmement, même si l’ensemble des présupposés, ci-avant, seraient fausses, ces publicités ne seraient basées sur aucune étude psychologique des cibles visés par leur campagne ; Cinquièmement, les publicistes se contenteraient uniquement de l’acquittement de leur engagement vis à-à-vis de leur commanditaire en dépit des conséquences postérieur de leur production sur le social.

En dépit des distorsions des publicités sexymaniques et métalinguistiques, il est évident que :

a)     Les annonceurs de ces publicités fidélisent le bas-âge haïtien, surtout au niveau des médias chauds. Beaucoup d’enfants témoignent leur enthousiasme pour ces publicités. On a tendance à croire qu’elles sont en passe de développer chez eux une préférence pour les produits visés. Cependant, d’un point de vue de finalité des commanditaires, on est curieux de savoir s’il existe une corrélation positive entre ces publicités et une augmentation de la consommation des  produits cibles ; Dans le cas contraire, on pourrait conclure qu’ils ne font qu’attirer l’attention d’une catégorie des consommateurs.

b)     Les agences de production (16), s’ils existent vraiment en dehors des annonceurs,  les medias, comme support de transmission, optimisent leur recette. Mais ces institutions n’ont-elles pas une responsabilité morale de participer au processus de socialisation de l’acteur social d’une manière cohérente, saine et harmonieuse aux normes sociales locales et universelles ? Ne savent-ils pas qu’ils sont entrain de créer des contraintes pour eux-mêmes ? Car, à une période ultérieure, les habitus développés à partir de ces publicités et les construits-sociaux engendrés peuvent devenir problématique et obstacles à l’établissement de l’état de droit dans le pays. Cette situation deviendrait une contrainte, pas seulement pour l’état mais pour les médias aussi.  

c)      Les plans-medias des produits au centre de ces publicités, s’ils en existent, sont-ils gérés par les entreprises selon des propriétés d’adaptation des pratiques et/ou doctrines publicitaires au milieu social haïtien ? De toute évidence, un plan de marketing d’un produit devrait prendre en compte les enjeux psychologiques, culturels et étiques. Ces facteurs sont-ils étudiés par des professionnels, lesquels arrivent à la conclusion que ces formes de publicités et les créneaux exploités sont incontournables dans le développement du plan de marketing du produit ?

En définitive, on se demande si le produit se vent effectivement en Haïti à travers des publicités ayant des vertus érotiques, de l’illusion de la femme ou de l’homme comme objet de bien-être, de plaisir et de sensualité ? Si tel serait le cas, le marché détient des propriétés pour percevoir le prix de la femme dans le coût du produit cibles. Il est évident que sous l’aveuglette facturation publicitaire, beaucoup d’hommes n’achètent pas le produit pour ce qu’il est mais pour l’illusion de satisfaction de fantasme et de l’érotisme qu’ils perçoivent à travers les publicités.

  1. En guise de conclusion

Il est un fait que certaines publicités très populaires, diffusées en Haïti,  véhiculent, implicitement, des valeurs sexualisant les rapports : Production, commercialisation et consommation. En même temps, elles servent de courroie de transmission des stéréotypes sur la question de genre, sur la domination et le pouvoir.  Elles n’ont aucun contenu dans une perspective normative de éducation et au regard de la morale universelle. Spécifiquement, elles ne facilitent pas le développement de comportements sexuels responsables chez ses destinataires. Quoique qu’on admette qu’on peut orienter une forme de publicité sexe-imagerie pour déconstruire  certaines valeurs en collusion avec les droits de la personne.  

On a vu que ces formes de publicités, que nous qualifions de sexymanie et métalinguistique, peuvent avoir conséquences néfastes sur le développement de la personnalité des enfants et des adolescents en particulier. Leur Protocole d’Authentification et Contrôle de leur Action Sociale (PACAS) peut en pâtir. Car ces publicités, auxquelles ces sujets sont exposés, contribuent au cryptage de leur conscience sociale et peuvent faciliter le développement d’habitus en collusion aux valeurs locales et universelles. De ce fait, les annonceurs, les agences de publicité, les entreprises et les medias doivent prendre compte ce facteur dans la conception,  production et la diffusion des publicités. Ces aspects, à notre avis, doivent faire partie du contrôle la qualité de publicités destinées au marché haïtien. Jean François Pelletier (17) a raison de les inscrire dans sa liste des onze questions qu’on devait se poser pour évaluer la qualité d’une publicité : La publicité s’exprime-t-elle dans un langage accessible et agréable au consommateur ou se borne-t-elle à parler le langage de l’annoncier ? Deuxièmement, cette annonce insulte-t-elle l’intelligence du consommateur ou au contraire dégage-t-elle un respect de la personne humaine ?

On doit reconnaitre qu’il n’est pas possible d’imposer des règles fixes sur la question de l’art (18). Cependant nous faisons les recommandations suivantes :

a)     Le remaniement et l’adaptation de la législation Haïtienne relative à la publicité dans le pays ;
b)     Le développement chez les institutions de l’état, comme le Ministère des Affaires Sociales et du Travail (MAST), l’Institut de Recherche et de Bien-être social (IBERS), l’Office de Protecteur du Citoyen (OPC), des outils de contrôle des publicités au regard de la législation haïtienne rénovée et la morale universelle.
c)      Entre l’état et la société civile, il faut développer un code de conduite éthique pour les publicistes évoluant en Haïti.

A coté de ces actions :
a)     Dans les medias chauds, il faudrait que les patrons concertent avec les entreprises, pour  diffuser les publicités jugés sexistes et métalinguistiques à des heures précises d’antenne et les interdire dans des émissions adressés aux enfants, adolescent et des jeunes de mois 18 ans ;
b)     Il faudrait que les forces de la société civiles comme les collectifs des parents, les associations et organisions œuvrant dans la socialisation des enfants et/ou la question de genre puissent sensibiliser les annonceurs et les producteurs à la représentation de l’homme et de la femme d’une manière plus positive et égalitaire.
c)      Au niveau des entreprises et des annonceurs, il faudrait explorer les autres formes de fidélisation des potentiels consommateurs.

N’en déplaise aux lecteurs, nous devons signaler que cet article revêt une dimension de responsabilité citoyenne. Son ambition de sensibiliser, les acteurs du système social, et tous les agents du processus de construction sociologique de l’homme haïtien, sur l’impact que peut avoir les actes et  les gestes que nous posons sur le devenir social de notre milieu. Selon des critiques de l’art, les qualités professionnelles des acteurs, en scène dans ces publicités sont bonnes mais, l’impact, sans le vouloir, pourrait être négatif pour les générations futures. Nous reprenons cette énoncée que nous avons antérieurement utilisée : « Tout réel social, passé, présent et futur, a été, est et sera collectivement, matériellement et spatialement construit  suivant un processus tri-temporel : Construction, déconstruction et reconstruction (19) ».  Le fait haïtien de demain ne sera que le produit de nos faits et gestes d’aujourd’hui. Rien de mystique, ni de  théologique.

Notes bibliographiques

(1)       Claudio Benedetti et Al., La dynamique de l’entreprise, Editions Etudes Vivantes, Montréal Québec, 1992, p184.
(2)       Jean François Pelletier, Une publicité en quête de qualité, Editions Jean François Pelletier, Montréal, Canada 1977, page 9.
(3)       Est pathologique tout ce qui est en dehors de la normal, des formes régulières revêtant des formes exceptionnelles soit dans le temps et dans l’espace.
(4)       Lagneau Gérard, La sociologie de la publicité, Presses Universitaires de France, Paris 1988.
(5)       Richard H. Buskirk, Donald J. Green, William C. Rogers, L’entreprise et son milieu, Les Edition HRW Ltée, Toronto, Montréal, 1974, pages 178.
(6)       D’un point de vue éthique une publicité ne doit pas être en collusion avec les valeurs fondamentales de ses cibles. Elle ne doit, en aucune manière, les chambarder.
(7)       Jean-François Dortier (Sous la direction), Dictionnaire des sciences humaines, Editions des Sciences humaines, Paris France, 2004, page 296.
(8)       Yves Alpes et al., Lexique de sociologie, Editions Dalloz, Paris, France, 2005, page 116.
(9)       Raymond Boudon et al., Dictionnaire de sociologie, éditions, Larousse, Bordas – HER, Paris, France, 1999, page 128.
(10)   Le concept biotope socio-matériel se défini comme les différentes espaces physique, social  et virtuel à travers lesquels transite un individu au cours de sa vie. Voir l’article « L’Université en Haïti : Entre Cathédrales de la foi, Instrumentalisation / Victimisation politico-idéologique et Palace de la Science » sur : http://www.visenejl.blogspot.com.
(11)   William Endres et Christophe Hug, Publicité et sexe : Enjeux psychologiques, culturels et éthiques, Université de Genève et Hautes Etudes Commerciales – Faculté des Sciences Economiques et sociales, Genève, 2004, page 7
(12)   Si l’on présentait Dieu dans la bible comme une femme, l’homme chrétien aurait-il la même perception de la femme et de ses rapports avec elle ?
(13)   William Endres et Christophe Hug, OP. cit. page 7. (Pour vérifier l’ampleur de l’usage des publicités à caractère sexymanie dans le monde lisez les pages 13 à 29
(14)   Les noms cités ici sont modifiés.
(15)   http://www.alterpresse.org/spip.php?article2072, Haïti : Les féministes persistent à exiger le retrait d’une affiche publicitaire " sexiste ", mardi 11 janvier 2005.
(16)   Généralement, les agences jouent le rôle de conception et de production des publicités pour les entreprises.  Donc, elles ont aussi une fonction de conseiller de  leur client pour une meilleure promotion de leur produit. D’ailleurs, ce sont elles qui font les études en la matière pour les entreprises. Si elles existent et qu’elles sont utilisées, c’est qu’elles ne se sont pas acquittées de leur fonction de Conseil auprès de leur client ou se sont montrées complaisantes pourvu qu’elles  retirent leur contrat. On pourrait se demander aussi si cette attitude, si elle existe n’est pas motivé au fait qu’au premier regard que c’est l’annonceur qui est l’interface entre l’entreprise et les consommateurs. A ce moment là, on pouvait dire que les agences ne rendent pas service à leur client, ni à la société, ni à à elles-mêmes
(17)   Jean François Pelletier, Op. Cit., page 302.
(18)   Le publiciste est comme l’artiste qui peint son tableau, l’acteur qui est sur scène certaines de ses peuvent lui rendre performant ou piètre.
(19)   Jean Laforest Visene, Prospection de l’Encastrement biotypologique du réel social haïtien, publié sur : http://www.visenejl.blogspot.com, et dans le journal Le Nouvelliste, Port-au-Prince, Haïti, le 24 aout 2011, http://www.lenouvelliste.com.

Jean Laforest Visene
Professeur à l’Université d’Etat d’Haïti
Sociologue, M.A. Sciences du Développement

lundi 25 juillet 2011

Prospection de l’Encastrement biotypologique du réel social haïtien

Publié aussi dans le journal Le Nouvelliste, Port-au-Prince, Haïti, le 24 aout 2011, http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=96026&PubDate=2011-08-24
Prospection de l’Encastrement biotypologique du réel social haïtien

 

.- Par Jean Laforest Visene

« Parafaits et paraphénomènes haïtiens : Analyse sur trois unités d’observation sociologique », tel est le titre d’un ouvrage à paraitre bientôt sur le réel social haïtien. En attendant sa diffusion, ici, nous partageons avec les potentiels lecteurs une synthèse de la recherche. Ce présent article présente la problématique de la recherche, la définition et la fixation des concepts de parafait et de paraphénoméne,  les indicateurs de l’évidence du problème, la méthodologie utilisée, l’analyse et l’interprétation des données. Cette analyse permettra au lecteur de comprendre l’actualité politique d’aujourd’hui et d’interpréter la position des acteurs du système d’acteurs du milieu haïtien. L’impasse politique économique et sociale est donc biotopologiquement encastrée dans le biotope socio-matériel haïtien.

1.    Problématique de l’ouvrage

L’ouvrage commence par établir la problématique de liens sociaux en Haiti qu’on peut classer dans deux agencements sociaux : L’un suivant les critères de définition de la société et l’autre en se référent à la définition sociologique du concept de communauté. Constatant que beaucoup d’auteurs ont présenté les vertus de solidarité, d’hospitalité, de crédulité et d’inoffensivité de l’être rural haïtien qu’on tend à généralisé à la moyenne de la société haïtien, l’auteur se questionne sur la nature des véritables liens sociaux en Haïti. Doit-on les classer dans la catégorie communautaire ou dans la catégorie sociétaire de type rationnel marchand ? Il est évident, en raison de rapports temporel et socio-spatial, qu’on peut étendre certaines des vertus constatées dans un espace à toutes les unités sociologiques. Dans leur praxis, il est clair que le citadin haïtien, contrairement au rural haïtien, n’est pas différent de ceux des grandes villes occidentales capitalistes et opportunistes. Son traintrain quotidien lui oblige à être beaucoup plus rigoureux, stratège et rationnel que le campagnard, qui lui n’est pas conditionné à être futé, rusé, égoïste et opportuniste pour survivre.

La ville et la campagne haïtienne sont donc deux espaces de vivre-ensemble dans lesquels le jeu de l’acteur « individu social » ne se concrétise pas de la même manière. Dans le premier cas, en dépit de l’introduction de certains appareillages qui prédisposent l’acteur à un autre état, le paysan reste subordonné à une forme de collectivisme et une quotidienneté techno-pratique et corporatiste. Son monde virtuel et sa technologie de l’ombre n’est qu’une principauté de son vivre-ensemble. Dans le second cas, une forme primitive de l’individualisme constitue le décor idéologique de l’acteur. Le « nous / notre » du campagnard est pratiquement remplacé par un « je / moi », sous un faux rideau de rationalité de l’acteur et de sélection naturelle de type darwinien. La maxime de cet autre monde  pourrait être formulée ainsi : « Survivre et tirer le maximum de profit de la dynamique sociopolitique et économique, avec le moindre investissement individuel ».

Le rural, le suburbain ou rurbain, et l’urbain haïtien sont trois mondes distincts ayant des caractériels de cohabitation distincts. Chacun d’eux nécessite une démarche particulière d’appréhension de leurs faits et de leurs phénomènes de cohabitations. Certes, ces productions sont régulières d'après leur classification dans une typologie communautaire ou sociétaire mais, ils ont un statut d’encastrement dans une dynamique micro-idéologique du jeu social. Un simple regard holistique ou de l’individualisme méthodologique ne suffirait pour comprendre partout les manifestations de ce que nous appelons « parafait et paraphénomène » du vivre-ensemble transgéniques à ces ensembles sociaux et qui ne sont pas objectivement congrues. Les manières d’agir, d’être et de sentir  adressées ici concernent donc ces trois unités sociologiques : le rural, le suburbain ou rurbain, et l’urbain. Car les acteurs en question ne sont dissociables à ces trois espaces de vivre-ensemble.

2.    Définition des concepts parafait et de paraphénomène

Qu’est-ce en réalité un parafait ou un para-phénomène ? Les concepts « parafait » et « paraphénomène » se réfèrent aux éléments que les activistes sociaux considèrent comme des éléments de désappointement social, dans une perspective normative de la sociologie. Il ne renvoie pas à une expression de déviance car, ces éléments sont convenables avec l’état des réseaux de relations personnelles et un construit social qu’on pourrait considérer comme un système particulier. On pouvait même dégager les propriétés utilitaires et fonctionnelles de cet état de fait. Ce système nous pouvons l’imagé par un « panier de crabes vivants ». Agissant en rationalité individualisant, mais d’état collectif. Ce n’est pas un hasard que les acteurs traitent grossièrement les événements sociaux en rupture avec l’accomplissement des idéaux ancrés dans les valeurs républicaines clairement exprimées dans la légende de la république d’Haïti : « L’Union fait la force ».

Cette légende : « L’union fait la force », semble avoir été motivée par la prise de conscience des leaders de l’époque de la difficulté de cohabitation harmonieuse des diversités ethniques africaines et européennes qui se trouvent sur le sol haïtien.  On avait compris donc que les valeurs de liberté et d’égalité que préconisait la révolution française devaient être renforcées par des valeurs de fraternité. Ces valeurs dans la société postmoderne sont au centre des idéologies de la gouvernance sociale et la pérennité des sociétés. Les pères fondateurs de la République d’Haïti, probablement s’attendaient à une forte coopération sociale et le placement des intérêts de la société globale au rang des intérêts supérieurs. Cent ans après, l’hymne nationale d’Haïti, la « Dessalinienne » conforte l’idée de la poursuite des idéaux d’une coopération stratégique  entre les kyrielles de parcelle communautaire du milieu qui ne se rendent même pas compte de leur existence, voir de leur divergence d’intérêts. Il est dit ceci dans le premier couplet : «  …  Marchons unis, marchons unis, dans nos rangs point de traîtres … ».

Trappe, ça et là, coups bas, par-ci par-là, en résulte une  Haïti qui recommence à chaque présidence. Le coopérativisme Dessalinien qui convoitait pourtant un idéal construit en un cumul historique est dissipé dans l’âme nationale. En lieu, d’un rêve haïtien de fierté, de prospérité, et d’unité, périodiquement, des événements sociaux rétractent la marche de l’histoire. Ils reviennent monstrueusement comme des artefacts, luisant comme l’image à travers le miroir, sans la moindre observation voire sans interrogation sociale. Cette attitude ne dénote-t-elle pas que cet image est un construit social ? A-t-on collectivement réfléchi sur l’étrange ressemblance des conjonctures qui ont occasionné le gâchis des deux festivités devant marquer l’une le centenaire, l’autre le bicentenaire de l’indépendance d’Haïti ? Pourquoi observe-t-on les mêmes caricatures événementielles depuis 1804 à nos jours ? Lwa al visite fanmi l ?

3.    Les indicateurs d’explication des parafaits et des paraphénomènes haïtiens

L’indicateur, par excellence des parafaits et paraphénomènes haïtiens, lit-on dans l’ouvrage, est l’instabilité politique chronique que connait le pays. Cela se traduit par la manière dont se succèdent les présidences : Assassinat ou empoisonnement, évincement ou coup d’Etat, destitution ou démission par des forces contraignantes etc. ;  La panoplie de constitution adopté par la le collectif haïtien de 1801 à 2011, soit 25 constitutions ce qui représente, en moyenne, une constitution chaque huit ans ; Après l’instabilité politique chronique, on peut considérer : l’exacerbation permanent de pouvoir politique personnel et absolu dans le pays; La dynamique du système sociopolitique à inverser la position des acteurs sociaux tantôt bourreau tantôt victime (le chasseur d’aujourd’hui sera le gibier de son gibier d’hier et donc la victime d’aujourd’hui deviendra le bourreau de demain), tantôt partisan tantôt opposant.

Le dernier élément que nous mentionnons dans la série d’indicateur des parafaits et paraphénomènes haïtiens est la détérioration de la situation socioéconomique du pays ainsi que la nature et l’aboutissement des protestations collectives. Car, remarque-t-on, l’haïtien s’accomplit socialement et économiquement mieux à l’extérieur du pays. Or, il est évident que le pays n’a pas de problème d’intelligence, d’imagination, de législation et de développement de concept social d’intervention. Pourtant, le réel social haïtien est ce qu’il est considéré comme collectivement indésirable.

Si nous analysons la conjecture économique haïtien, par exemple, nous comprendrons que l’un des grands problèmes du pays est l’émiettement / la parcellisation extrême des ressources de productions existantes. Tout le monde a peur de mettre leur ressource ensemble et de poursuivent des buts économiques communs.  D’ailleurs, on parle en « ti » on n’est pas prédisposé à penser gros : « M jwenn yon ti dyòb ; M ap fè yon ti biznis ; M gen yon ti kay ; M ap fè yon ti deplase. On connait le rapport entre langage et la pensée, la pensée et l’action.

Actuellement, l’expansion des parafaits et paraphénomènes peuvent se lire dans le rétrécissement considérable des possibilités de développement d’attitude de cohabitation et de coopération entre les membres des diverses horizons sociales. Si on regarde, par exemple, au travers de l’Université, du lycée, des soirées, des espaces de loisirs etc., ils se développent une grande tendance de polarisation sociale de ces espaces. Ce qui certainement a et continuera d’avoir des répercussions sur l’état de la coopération politique et économique des membres de ces différents pôles.

4.    Méthodologie et division de l’ouvrage

« Parafaits et paraphénomènes haïtiens : Analyse sur trois unités d’observation sociologique » propose au lecteur un regard critique sur des faits et des phénomènes qui sont un trait d’union avec la réalité actuelle du pays. Cette prospection n’a pas pour objectif de perpétuer un négativisme idéologique au point de considérer le réel social haïtien comme indéniablement obscur. D’ailleurs nous les traitons comme des objets de curiosité sociologique. De notre point de vue de sociologique, un fait ou phénomène social satisfait à une demande sociale. Il ne revient pas à la sociologie de le qualifier d’accomplissement négatif ou positif.

L’ouvrage utilise un style académique qui n’accepte pas que le rédacteur manifeste un sentiment d’acception ou de rejet par rapport aux faits et aux phénomènes qu’il étudie.  Le travail est divisé en trois parties. Dans la première : « Incurie des protestations collectives en Haïti de 1900 à 1956 » met en perspectives des événements afin de dégager le sens et le fondement des changements de régime. Dans la deuxième partie : « Université en Haïti : Cathédrales de la foi, Instrumentalisation / et la Victimisation politico-idéologique et Palace de la Science », les protestations universitaires sont transposées dans leur décor macro-social. Dans la troisième partie : « De l’idiotie à l’idiosyncrasie haïtienne » on met en exergue deux éléments, vraisemblablement divers, mais qui révèlent un aspect important des parafaits et paraphénomènes haïtiens. Premièrement, celui de mettre toujours le chien à la place du chat et de faire tire le chariot du bœuf par un caprin ; Deuxièmement, l’adoption de comportement en collusion avec les principes d’orientation clairement établis.

La méthodologie générale du travail est une combinaison deux perspectives de la démarche d’investigation en sciences sociales. Il s’agit de la démarche généralisante ou nomologique et de la démarche individualiste ou historique.  La première démarche est due au fait  que les finalités du travail tend à aider le lecteur à faire une généralisation, d’abord intra-sociétal et ensuite extra sociétale suivant l’existence d’une dominance des similarités sociales. D’ailleurs les conclusions font une généralisation sur l’Haiti d’hier et d’aujourd’hui, sans négliger le lendemain. La deuxième démarche est l’alibi méthodique de la première. D’ailleurs, les données que nous traitons sont placées dans leur contexte temporel et spatial. Nous essayons au maximum de ne pas substituer à l’historien, même s’il était éthiquement acceptable.

Nous avons donc fait des détours obligatoires pour expliciter les concepts de Parafaits et paraphénomènes haïtiens, nous utilisons dans chacune des parties une méthodologie adaptée. Nous espérons que le lecteur voudra bien comprendre ces détours méthodologiques que nous prenons le soin de présenter au début de chacune des parties. Dans la première partie nous utilisons la méthode historique ; Dans la deuxième partie la méthode génétique et dans la troisième la méthode fonctionnelle.

Tenant compte de la contribution passée et présente de ce pays à la culture universelle, de sa littérature sur tous les aspects, de l’évidence que le pays n’a pas vraiment de problème d’intelligence, d’imagination, de législation et de développement de concept social d’intervention, l’ouvrage oriente son développement à la recherche d’une réponse à une question centrale : Pourquoi Haiti n’arrive pas à conjuguer ses ressources pour créer une stabilité politique et décoller son développement ? Est-il effectivement un problème de dominance des Parafaits et paraphénomènes du milieu sur les idéaux sociétaux de bien-être et de développement collectif ? Il est certain, les parafaits et paraphénomènes sont les principaux vecteurs du recommencialisme permanent en Haiti. D’ailleurs, l’essence du discours social, en particulier, de la plupart des post décideurs est que : « Le prédécesseur n’a jamais rien fait, c’est moi qui vais faire ». Remarquez bien l’usage du moi et non pas le nous.

5.    Comprendre les Parafaits et paraphénomes haïtiens

L’ouvrage retient à travers l’histoire du pays : La faiblesse de l’organisation politique et d’autres structurations communautaires qui ne créent pas de condition d’émergence d’un idéal social haïtien.  Or, l’existence d’un idéal social est un élément avant-gardiste pour l’aboutissement positif des protestations collectives. Ensuite, on retient l’impromptitude et le manque de vélocité de l’élite haïtienne (politique, économique et intellectuelle) à se mobiliser à des moments politiques précis qui semblent opportuns à la satisfaction de la demande sociale. 

A.   Une société truffée de passager clandestin
Nous avons constaté que le réel social haïtien porte le velours d’une société à  « passager clandestin ». Pourquoi nous le qualifions ainsi ? Ce concept permet bien de comprendre l’handicape majeur à la formulation et à l’aboutissement des protestations collectives.

Le concept de passager clandestin est opposable à celui de désigné sous l’appellation d’ « action collective ». Dans cette dernière, il a l’idée de coordination consciente des activités afin de défendre les intérêts collectifs et renversé une situation défavorable à des valeurs et des buts s communs. Quatre sous-concepts sont intégrants de l’action collective : le concept de l’unité, celui de solidarité, celui de l’organisation et enfin celui de la responsabilité. L’échec ou le succès, le gain ou la perte dans une action collective est socialement partagé. La doctrine du communautarisme et du collectivisme sont les toiles de fonds de ce type d’action.

Le concept de passager clandestin a l’élasticité de traduire tant l’idée d’intérêts personnels, individuels incongrues avec des intérêts collectifs que des comportements parasites d’un ou de groupe d’acteur(s). On distingue au niveau de l’analyse et de l’interprétation quatre types de passager clandestin dans le réel social haïtien :

a)    Le passager clandestin aliéné ;
b)    Le passager clandestin stratège ;
c)    Le passager clandestin parasite ;
d)    Le passager clandestin plon gaye.

a)    Passager clandestin aliéné
Le « passager clandestin aliéné » est le membre d’une collectivité qui devient étranger aux affaires internes. Il ne sait même pas qu’il a un pouvoir de construction et de déconstruction de son environnement social. Il n’a pas une conscience d’acteur. On peut le considère comme étant un état d’anomie par rapport à sa réalité sociale.

L’observateur crédule désignera le passager clandestin comme celui qui ne se mêle pas des affaires d’autrui. «  Se yon nèg ki pa janm mele nan zafè moun non », ce voudra dire, très souvent, que cette personne n’est pas activiste politique ou communautairement engagé. C’est un type d’acteur qui à partir d’appareils idéologique d’Etat est neutralisé et mis hors d’Etat de nuire aux intérêts de groupes d’intérêts rivaux à son groupe d’appartenance. En dépit de son statut, l’aboutissement positif ou négatif des protestations collectives lui importe peu Tant mieux, si elles  aboutissent positivement, car elles lui seront bénéfiques autant qu’aux autres membres de la collectivité qui y ont prend part de manière active. S’il parvient à percevoir dans ce dénouement l’apport des protestations collectives, il le lira comme l’expression de la volonté de forces supra-humaines. Le stade d’évolution de ce type d’acteur peut être inscrit à la phase théologique, selon la sociologie d’Auguste Comte.

b)    Passager clandestin stratège 
Le concept de « passager clandestin stratège », pour sa part, prend en compte tous les acteurs qui établissent, au départ, un rapport cout / avantage / menace pour donner leur participation à une action collective. Plus le cout est élevé et les menaces sont évidentes, moins l’acteur sera enclin à fournir sa participation et vice-versa. L’engagement dans une action collective suppose que le cout de cet engagement est faible pour cette catégorie d’acteurs, par rapport aux bénéfices individuels attendus. Il signifie également que cet acteur des zones inaccessibles aux projectiles. Cependant, il se fera passer pour la plus grande victime quand cela le permettra d’en tirer profit. Il est un « acteur aux faux semblants ».

D’un point de vue tactique, le raisonnement tant au niveau individuel qu’au niveau collectif est rationnelle. Cependant celui qui agit en cette qualité d’acteur, qu’il soit qualifié de comportement rationnel, intelligent, stratège ou manipulateur, pervertie son comportement. Car sa participation aux protestations collectives n’est qu’une façade pour garantir un succès personnel.

c)    Passager clandestin parasite 
Le « passager clandestin parasite » est le membre d’une collectivité qui fait le raisonnement de dire qu’il est moins couteux et beaucoup plus efficace de laisser combattre les autres pour obtenir un résultat bénéfique souhaité. Cet acteur projette une image de neutralité en apparence qui fait luire une vraisemblance d’être au dessus des clivages sociaux. Ses intérêts se greffent facilement sur n’importe quelle couleur politique. Nous les qualifions aussi de « passager clandestin kamèleyon ».

d)    Passager clandestin plon gaye 
Le « passager clandestin plon gaye » n’est pas trop différent du passager clandestin stratège. Mais il a la particularité de pouvoir dissimuler ses pions à travers tous les espaces de pouvoir afin de garantir ses intérêts. C’est le cas de certaines familles dont leurs membres s’agitent à gauche et à droite, en haut et en bas afin d’être vigiles aux intérêts de leur bande. C’est aussi le cas, de certaines activistes de l’humanitaire, de la plaidoirie des droits sociaux qui sont dans les mêmes couloirs mafieux.

Ces acteurs s’affichent comme pour ou contre, opposants, ou comme des intégristes, bref dans des camps adverses. En réalité les passagers clandestin plon gaye ne font qu’agiter le devant de la scène de leur marché afin de drainer des ressources qu’ils partageront les dividendes dans la plus grande confidentialité. On retrouve ce type de passager clandestin, particulièrement, au niveau de la classe intellectuelle. Qualifié de classe moyenne par la sociologie marxiste, elle est considérée comme la plus dangereuse pour l’émancipation de la classe populaire.

B.    Des protestations collectives handicapées d’intérêts disparates et de comportement non avisé
On peut dire que les élites haïtiennes, selon les constats sur la période considérée, ne se comportaient que comme des stratèges affairistes et opportunistes qui ne cherchaient qu’à maximiser leur profit dans le marché des protestations collectives en Haiti. Exception est faite du mouvement indigéniste de 1946, qui témoigne d’une activation de l’élite intellectuelle du pays dans une mouvance sociale extraordinaire. En effet, l’élite généralement n’a pas été observée ni à gauche, ni au centre, ni à droite. Elles restent dans l’expectative pour tirer son avantage quelque soit le cas de figure. 

a)    Les registres des protestations collectives
In fine, on peut dire que les protestations collectives durant la période considérée s’inscrivaient dans trois registres de lutte, dont les deux premières sont en perpétuelle concubinage : Registre politique ; Registre économique et ; Registre libertaire. Ces trois registres se lisent sous quatre formes de luttes :

a)       Lutte pour le contrôle du pouvoir politique par des factions haïtiennes ;
b)        Lutte pour avoir le monopole du marché (import – export) et la gestion des ressources naturelles et financières ;
c)       Lutte par obsession pouvoir, de domination et de glorification;
d)       Lutte pour l’intégrité, l’indépendance du territoire nationale et la dignité de l’être haïtien.

b)    Une classe populaire naïve et une université encastrée dans les clivages sociaux
Un autre élément dominant que nous avons constaté qui handicape l’aboutissement positif des protestations collectives est la crédulité et le sensationnalisme de la classe populaire. L’intensité de la pression de la demande sociale de changement social décroit rapidement à l’évincement du ou des décideur(s) dans l’arène du pouvoir politique. Donc il n’y a pas un mouvement d’activisme soutenu et permanent pour accompagner les décideurs à la formulation des revendications exprimées à travers les protestions collectives. La présence d’un mouvement d’activisme structuré pourrait exprimer ces protestations sous forme de cahier de charge et indiquer aux décideurs les méthodologies de réponse. Donc, on peut se poser la question si les protestations collectives ne sont-elles pas le fruit d’instrumentalisation de groupes sociaux contre des ennemis politiques qui constituent des obstacles à leurs intérêts. Nous disons bien : Ennemi politique et non adversaire politique.

L’acteur du système qui pourrait jouer le rôle de tampon et faire en sorte que les demandes sociales puissent être argumentées et adressées correctement c’est l’université. Malheureusement, elle n’a pas encore joué ce rôle. Contrairement aux cités démocratiques dites « postmodernes » l’université haïtienne n’a pas joué son rôle institutionnel d’avant-gardisme pour donner le ton à l'économie, à la politique, à la garantie des libertés, au renouvellement et à la formation des ressources dirigeantes, au redressement des errances sociales. A être plus précis, il n’existe pas d’espace de création de débats scientifiques, non seulement l’aspect fondamentale, c’est-à-dire production de savoir pour le progrès de la science, non plus, sur aspect utilitaire c’est-à-dire dans la résolution de problèmes sociaux. L’université haïtienne n’a, principalement, pas contribué à la formulation d’une opinion publique avisée dans le pays.

Les savoirs qui sont produits au sein de l’université recèlent de l’effort individualisé. Ils ne font pas l’objet d’appropriation systématique des centres. En conséquence, ils ne sont pas validés ce qui leur donnerait l’étoffe nécessaire pour qu’ils ne soient pas ignorer dans les sphères décisionnelles. Comme on l’a constaté, l’université, à certaines conjonctures, donne l’apparence d’être complètement neutre, alors que dans d’autres elle prend des positions sans une argumentation scientifique basée sur sa mission.  On comprend donc que les positions exprimées recèlent d’idéaux non  politiquement innocents.

C.  Expression d’être conforme au biotope socio-matériel haïtien

Suivant la théorie du biotope socio-matériel développée, le réel social haïtien  répond à la conformité aux lois du même biotope socio-matériel. Ce qu’on y observe n’est que la projection des propriétés genito-fonctionnelle du biotope. Ce n’est pas un hasard quand nous portons notre regard sur l’univers sociétal haïtien, nous constatons que depuis longtemps le répertoire du jeu des acteurs sociaux du pays, en particulier citadins, est caractérisé principalement par :

·            Le privilégiement de la violence : « Konstitisyon se papye, bayonèt se fè » comme moyen de combat politique, d’évincement, d’accession et de conservation du pouvoir ;
·            L’obligation d’action de recourir à la politique : « koupe tèt, boule kay » pour que le cri des plus vulnérables / pauvres, « pye sal », les revendications populaires, le plus souvent justes, soient entendus ;
·            La rupture, à chaque présidence, avec tout projet qui pourrait rappeler le régime précédent, même si ces projets constitueraient une priorité nationale. C’est effectivement un pays où l’on recommence à chaque événement ;
·            L’aisance dans la pratique politique de récupération, à son compte personnel, du succès des actions collectives ;
·             La culture d’irresponsabilité ou de renvoient de la balle de l’échec à l’adversaire : « Se pa fòt pa m si pa fè, yo pyeje teren an » ;
·            La pratique d’un familialisme et d’un « groupisme », prostituée par un étrange individualisme : « Tout koukouy klere pou je w. Sa frize te fè pou koukou pou l fè pitit li pou l rele l frizelya ? » ;
·            La politique de destruction, de martyre, d’humiliation des valeurs du pays parcequ’ils ont les potentialités pour être d’éventuels concurrents ;
·            L’ingratitude envers les dévoués à la cause de la nation : « La reconnaissance est une lâcheté », répète-t-on souvent ;
·            L’insouciance de la dignité l’autre : L’haïtien d’á coté, y compris celles pères fondateurs de la patrie. Imagine, par exemple, jusqu’à présent il n’a jamais eu de cérémonie officielle de l’enterrement de l’Empereur Jean Jacques Dessalines père fondateur de la patrie ;
·            Le partage de la misère et non de la richesse : « Fòk wòch nan dlo konn doulè wòch nan solèy ». Pourquoi pas : « fòk dlo a koule fre pou tout moun ? » ; 
·            L’agitation de cloisons sociaux : « Nèg an wo, Nèg anba ; Nèg lavil, nèg andeyò ; Ti wouj, ti nwè…. » ;
·            L’accommodement à une politique de désinvolture, de clientélisme et de pratiques administratives compromettantes et occultes ;
·            La méfiance généralisée et le refus de pardon : « Bay kou bliye, pote mak sonje » ;
·             La culture de l’irrespect de la parole donnée, ce qu’on peut appeler : «  Jwèt  mètdam » ;
·            La timidité dans la communication intra et intergroupe : « Chèf pa pale, se lòd li pase » ;
·            Enfin, l’excès d’expression de sentiments élémentaires d’une rare primitivité;

Le réel social haïtien manifeste l’imprégnation de son conditionnement socio-matériel, et son intensité dépend de facteurs circonstanciés, conjoncturels / temporels ou permanents qui en sont les déterminants.

6.    Conclusion

Nous n’avons pas la prétention de contribuer ni à l’emménagement ni au déménagement de quiconque, même si nous sommes d’avis qu’exercer la sociologie peut faire les deux par ses quatre vérités. Tout au cours de l’ouvrage nous avons essayé de faire notre cette pensée  de Pierre Bourdieu disant que : «  Le sociologue a la particularité, qui n’a rien d’un privilège, d’être celui qui a pour tache de dire les choses du monde social et de les dire autant que possible, comme elles sont : rien que de normal, de trivial même en cela ». N’est-il pas vrai que l’actualité haïtienne d’aujourd’hui est encastrée dans le biotope socio-matériel haïtien ?

Bref, le biotope socio-matériel haïtien est complètement émietté et distant : « Nèg anwo, nèg anba ;  Nèg lavil, nèg andeyò ; Jan lespri, Jan sòt ; Nèg rich, nèg pòv ; Ti wouj, ti nwa », autant d’univers social qui de l’intérieur n’ont rien d’homogène, de stable et cohésion sociale. Il est vraisemblable que la multiplicité ethnique du pays : Amérindienne, européenne, africaines, et plus récemment d’arabes et le rétrécissement des espaces de communion de ces différentes ethnies ne facilitent pas le développement de liens sociaux suffisamment forts au niveau national pour formuler et agencer la coopération extra sociétale. Cependant, ce sont les stratégies individualistes, donnant l’allure de stratégie intra groupe,  pour défendre des intérêts particuliers qui sont les plus marquants dans la systématisation compréhensive des protestations collectives en Haïti. Les liens sociaux se développent dans un cadre sociétaire de rationalité  marchande.

Comme nous l’avons dit, c’est une société truffée de  passager clandestin, d’attentiste et d’opportuniste. En conséquence, on ne peut pas poser le problème d’Haïti comme étant lié à une multi diversité communautaire à l’intérieur de la société. Il serait plutôt un problème de formatage idéologique du processus de gestion des ressources politiques, économiques et sociales. Par contre, l’absence d’un activisme structuré devant faciliter l’expression soutenue et l’aboutissement des protestations collective est certainement liée à la multi diversité communautaire en Haïti. Or, la société haïtienne, en comparaison à d’autres, est à une phase de moyennisation suffisante pour espérer un tel développement.

Tant que l’haïtien ne fait pas sien cet adage qui dit : « Quant on commence à labourer on ne s’arrête pas qu’avant d’avoir abouti devant le Silo » et que les décideurs politiques reconnaissent que le / leurs prédécesseur(s) est / sont un maillon du chainon, le pays continuera d’être ce qu’il est sur les plans : Politique, économique et social. Rien de mystique, ni de  théologique. Il s’agit d’une loi sociale « triplicielle » qui s’énoncerait ainsi : « Tout réel social, passé, présent et futur, a été, est et sera collectivement, matériellement et spatialement construit  suivant un processus tri-temporel : Construction, déconstruction et reconstruction ».  Bien sur, ce processus se réalise avec la dominance du social sur le matériel et le spatial. Car c’est le premier qui crée les outils matériels et aménage les espaces. ***

Jean Laforest Visene
Professeur à l’Université d’Etat d’Haïti
Sociologue, M.A Sciences du Développement