mercredi 9 février 2011

HAITI: De la solennité de 1804 à la honte de 2004

Article publié in Journal « Le Nouvelliste », Port-au-Prince,  Haïti , le 15 Décembre 2004, accessible sur : http://www.lenouvelliste.com/articleforprint.php?PubID=1&ArticleID=14894  Conférence sur la même thématique à été pronnoncée à l'occasion de la célébration des 200 ans d'indépendence de la République d'Haiti

HAITI : DE LA SOLENNITE DE 1804 A LA HONTE DE 2004

Cet article questionne la responsabilité des élites haïtiennes dans le dépérissement de la république de 1804 à 2004. Après avoir exploré les diverses raisons qui auraient conduit à l’état lamentable du pays, l’auteur analyse deux thèses : celle de l’empreinte du colonialisme français et celle de la manipulation internationale. Il conclut en faisant savoir que les Haïtiens sont les principaux responsables de la situation déplorable du pays et c’est à eux de prendre les décisions énergiques et avisées pour son redressement.


Jean Laforest VISENE

Après une décennie de soulèvement général et intempestif, les esclaves de Saint-Domingue, aujourd’hui Haïtiens, ont fait capituler la plus grande armée du monde de l’époque : L’armée française. Ainsi, le 1er janvier 1804,  Haïti, en promulguant son acte d’indépendance, est devenue la première république noire du monde et, a tracé le chemin à beaucoup de peuples sous le joug de l’esclavage un peu partout. Tous les regards étaient tournés vers ce petit poussin de la caraïbe qui ose remettre en question un système mondial d’exploitation arbitraire solidement établi. C’était vraiment de la solennité et les progénitures des nègres d’Haïti auraient raison d’éprouver de la fierté que leurs ancêtres eurent fait basculer un système aussi inhumain.

Non seulement, ils ont tourné cette page sombre d’histoire de l’ancienne colonie française de Saint-Domingue et remis en question le système esclavagiste mondial,  mais leur action  va aussi contribuer à la promotion des idées et des valeurs de libertés et de démocratie dans le monde. D’autre part, les plus grandes académies militaires de la planète, tant nord-américaines qu’européennes, étudiaient minutieusement les prodiges de l’armée indigène d’Haïti et particulièrement les prouesses de certains de ses généraux, pour pouvoir mettre à point leur stratégie.  Malheureusement, deux cents (200) ans après cet événement à portée universelle, Haïti, de toute évidence, s’engouffre de honte et de ridicules, au point que beaucoup de ses fils hésitent à faire valoir leur « haïtianité ». De plus, le terroir est, pour la plupart de ceux qui y vivent, un espace de transite, attendant de trouver une terre d’accueil. Quelle honte après un passé si glorieux !

1.      Solennité engluée


La solennité de la lutte qui a conduit au 1er janvier 1804 s’est engluée au fur et à mesure. Ce qui, comme nous le disions, ne manque pas de nous combler de honte et de ridicules en 2004. A part les raisons d’avoir honte antérieurement citées, il y a lieu d’attirer l’attention sur d’autres points sombres. On peut énumérer : La  spoliation du pays et la souillure du sol national par des forces armées étrangères, en particulier celles qu’on a dû chasser pour avoir notre indépendance ; Les luttes intestines interminables ; Le clientélisme, la corruption et la malversation généralisés.

Aux raisons ci-dessus s’ajoutent : Le « narco - traficanisme » qui s’installe dans le pays, depuis un certain temps qualifié de «  narco – Etat » ; La pauvreté absolue de la quasi-totalité de la population et la mendicité qui caractérise notre Etat (un pays mendiant) ;  Les montagnes d’immondices qui occupent la plupart des artères de nos grandes villes et l’analphabétisme chronique qui touche plus de 65% de la population du pays.

On ne peut pas oublier dans cette liste : Le phénomène de l’insécurité qui bat son plein ; L’état de famine qui existe en Haïti, aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain, alors que le sol du pays est encore en mesure de produire de la nourriture pour tous ; L’incapacité du pays de faire face aux intempéries ; La précarité du système de santé ; La défaillance du système d’enseignement, etc.

Ainsi, Haïti présente le spectre d’un Etat en dépérissement sur les plans spirituel, matériel et organisationnel. Pourquoi jusqu’en 2004, deux cents ans après l’indépendance, le pays patauge-t-il dans un tel état de délabrement ?

2.      Raisons de l’état de délabrement d’Haïti


Les raisons fondamentales de l’état de délabrement du pays que nous évoquons peuvent être diversement appréciées. Citons entre autres : L’obsession du culte de la personnalité qui caractérise les dirigeants qui se sont succédés au pouvoir et l’ensemble des leaders haïtiens ; L’attribution constante de nos malheurs à des causes soit humaines, extérieures à nous-mêmes, soit surnaturelles, ce qui fait pérenniser dans le pays une mentalité d’irresponsable ; L’absence d’idéal ou de mission de l’Etat ;  L’immobilisme social et la mentalité de suivisme qui domine la pensée haïtienne.

Il faut mentionner également comme raisons de la situation de délabrement d’Haïti : L’inadaptation de notre système d’enseignement à la réalité haïtienne et aux priorités de l’heure ; Le comportement irresponsable de nos élites ; La prédominance d’un spiritualisme éhonté sur le rationalisme, alors que l’Haïtien, en général, a un savoir très prisé dans son champ professionnel ; Le caractère rancunier de l’Haïtien ; Un héritage colonial douloureux ; Le climat de méfiance qui existe entre les différents acteurs, catégories et groupes sociaux évoluant dans système. Et enfin, l’absence et / ou perte du sens de civisme de l’Haïtien depuis un certain temps. 

Certainement, ce présent article n’a pas la prétention d’approfondir les différentes causes avancées. Mais, nous en profitons pour explorer deux thèses qui tendent à se confondre pour devenir une unicité : Celle de l’empreinte du colonialisme français et celle de l’impérialisme moderne comme principales causes de la situation lamentable d’Haïti. Considérons ces deux thèses pour voir leur fondement.
          3.    Passé colonial d’Haïti en question

Cette thèse part de l’idée que les Français n’ont pas laissé suffisamment de structures qui pouvaient favoriser le progrès économique et social de la république d’Haïti. Si c’était une colonie anglaise cela aurait été différent, pensent certains. Certainement ! Mais, ceci n’explique pas à lui seul cela. Il faut se rappeler deux choses. Premièrement dans les deux cas, il s’agit de deux logiques d’exploitation totalement différentes : L’une, colonie d’exploitation, l’autre, colonie de peuplement. Les Anglais n’ont pas mis de structures parcequ’ils admiraient les autochtones et / ou esclaves de leurs colonies, mais parcequ’ils voudraient y habiter pour toujours, alors que ce n’était pas le cas pour le colon français. Deuxièmement, la plupart des biens de la colonie sont parties en fumée avec la stratégie de bataille : « Koupe tèt, boule kay ». Il fallait de toute manière mettre le pays en chantier. La judicieuse qu’il conviendrait de se poser : De 1804 à 2004 qu’avons-nous fait pour doter le pays de structures adaptées à son développement endogène ? Combien de plan national de Développement pouvait-on recenser dans les archives de la république ?

Le passé colonial a, sans nul doute, son empreinte, positif ou négatif, sur la réalité sociétale d’ « Ayiti » d’aujourd’hui. Les langues qu’on y parle et les masques qui les entourent, la structure du système d’enseignement qui y est appliqué, à un certain niveau, l’expression vestimentaire de l’Haïtien, ses rapports avec la religion – vaudou / catholique, vaudou / protestant,  l’organisation du système judiciaire … etc. témoignent sa filiation spirituelle à la France.

Par ailleurs, posons-nous quelques questions autour de cette problématique. L'Haïtien ne revendique-t-il pas sa foi catholique, assise psychologique de l’exploitation coloniale ? N’était-ce pas pourtant un prêtre catholique qui  faisait croire à ses ancêtres que la couleur de leur peau noire témoigne qu’ils sont les fils du diable et par conséquent, ils doivent accepter d’être esclaves du blanc qui lui, de par sa couleur, est fils de Dieu ? « Si tu te rebelles contre le blanc, tu vas brûler éternellement en enfer mais, si tu l’obéis, tu vas au paradis » fait-il savoir. Devrait-on pour autant attribuer aux catholiques l’état de pauvreté qui existe dans le pays ou les haïr pour avoir fait véhiculer de fallacieux discours ? Certainement pas !  Car la religion catholique, sous un certain regard, est devenue l’âme haïtienne et essaie de se colleter à la réalité locale.

Prenons un autre exemple, celui d’une femme violée et qui tombe enceinte. Malheureusement, c’est le pire des cauchemars d’une femme et nous aimerions que cela ne se produise plus jamais. De cette relation sexuelle forcée, la femme en question, sans nulle doute, traumatisée, donne naissance à un enfant. Le traumatisme de la mère peut être facilement répertorié dans le profil psychologique de l’enfant. Il peut avoir des répercussions négatives sur la performance scolaire de celui-ci. Mais, il peut arriver qu’il fasse le bonheur de sa mère et ne reflète jamais les traits du vilain acte de son père. Il n’est pas élégant de le dire, on ose, ce fils reste le produit d’une souillure. Cependant, ce viol n’explique pas totalement le devenir de l’enfant. Il y a certainement la responsabilité de la mère, de son environnement, mais et surtout celle de l’enfant devenu mature et de sa détermination.

Deux cents ans après l’indépendance de son pays, l’Haïtien ne devrait pas chercher à se justifier sous le faux couvercle de l’effet de l’empreinte de l’ancien colon. Même si, reconnaissons-nous, que le présent porte dans son agrégat l’empreinte du passé et à un certain degré pourrait être considéré comme son prolongement. Expliquer ainsi notre pauvreté matérielle et spirituelle témoignerait ou justifierait deux choses : Premièrement, l’Haïtien n’a pas grandit de 1804 à 2004 ; Deuxièmement, l’Haïtien a son regard tourné uniquement vers le passé. Ça ne servirait pas à une bonne presse pour nous.

Néanmoins, la traite négrière qui nous a conduit en Amérique est un crime contre l’humanité et doit être qualifiée comme tel. D’autant plus, qu’on ne peut pas se réjouir d’être le produit de ce qui a été fait contre le gré de nos géniteurs africains et au détriment de leurs progénitures.

  1. Thèse de la manipulation internationale
Considérons très succinctement la deuxième thèse, celle qui concerne la responsabilité de l’international. Certes, il serait naïf de croire que l’impérialisme moderne n’a pas sa part de responsabilité dans l’état de délabrement du pays. Pourrait-on reprocher à l’international de vouloir protéger ses intérêts et asseoir son hégémonie sur Haïti ? Doit-on lui en vouloir de jouer l’arme de la manipulation pour atteindre ses objectifs. Certainement pas ! Car, le jeu des relations diplomatiques, n’est-ce pas de tirer sa part des choses? Il serait insensé de s’attendre à ce que l’international établisse des relations avec Haïti sans en vouloir tirer profit. Mais, si effectivement on s’est laissé manipuler et laisser l’international déterminer la ligne directrice de la politique haïtienne, à notre insu et au détriment de nous-mêmes, cela témoignerait de notre régression spirituelle et justifierait toute velléité de mettre Haïti sous une véritable tutelle étrangère.

L’international n’est pas le principal responsable des dérives des élites du pays. Peut-on lui reprocher, par exemple, que depuis deux cents ans l’on a une école d’oppression, de discrimination, d’exclusion et de reproduction des rapports sociaux inégaux en Haïti ? Si nous avons une école bloquée depuis deux siècles, ce n’est pas lui non plus, c’est en grande partie à cause de l’hypocrisie qui nous caractérise tous sur l’utilisation du créole et / ou du français comme langue d’enseignement. On pourrait, incessamment, multiplier les exemples.

  1. Conclusion
Une chose est sûre : Toute réalité sociale, d’ici et d’ailleurs, est le produit d’un produit et porte en son sein les germes de nouveaux produits sociaux. Même si nous le considérions seulement sous son jour négatif, le passé colonial ne peut pas à lui seul expliquer nos laideurs jusqu’en 2004. L’impérialisme moderne non plus. La véritable question est : Qu’est ce que nous avons fait de cette possession qui, même après la guerre de l’indépendance était encore un joyau ? A quels devoirs avons-nous failli qui nous auraient conduit à cette débâcle ?

On n’a nullement raison de chercher à nous laver de ce dont nous sommes responsables. Toutefois, cela ne voudrait dire qu’on doit effacer de notre mémoire les exactions dont nos pères ont été victimes, non plus, de ne pas exiger justice et réparation dans la mesure où il y a provision légale.

Nous sommes entièrement responsables de nos pleurs et de nos grincements de dents. Faisons tous notre « mea culpa » et prenons les décisions énergiques et avisées pour le redressement de notre très chère Haïti.


Jean Laforest Visené
Professeur à l’UEH
Coordonnateur général du
Collectif Educa-Dev (COED)

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