jeudi 14 avril 2011

LA LAÏCITE DE L’ETAT HAÏTIEN : DANS LES TEXTES OU DANS LES FAITS

 In Quotidien Le Nouvelliste            F o n d é    e n    1 8 9 8                                                                                
  Rubrique: National     Date: 19 Avril 2011

laïcité de l’Etat Haïtien :
Dans les textes ou dans les faits 

Par Jean Laforest Visene.-

« Où sera organisée la cérémonie religieuse d’investiture du futur Président de la république d’Haïti ? » a été une question soulevée dans, au moins, deux reportages journalistiques sur l’intronisation du nouvel archevêque de Port-au-Prince, Mgr. Guire Poulard et l’ordination de l’Évêque auxiliaire, Mgr Glandas Marie Eric Toussaint. La cérémonie a été organisée le samedi 26 mars 2011 sur le site de l’ancienne cathédrale de Port-au-Prince,  en présence d’officiels du gouvernement, des membres de la classe politique et, notamment, des deux candidats finalistes aux élections présidentielles de mars 2011 : Mme Mirlande Hyppolyte Manigat et Mr Joseph Michel Marthely.

Constatant l’état du site de la cathédrale, encore jonché des décombres du tremblement de terre du 12 janvier 2011, ces journalistes ont raison de soulever la question.  Car, en ce lieu de culte, il est une coutume d’organiser la cérémonie religieuse officielle, un «Te deum », à l’investiture des mandataires du palais national. De facto, L’Eglise catholique apostolique et romaine est l’institution religieuse qui organise les cérémonies cultuelles à l’occasion des événements d’Etat. Du parlement haïtien à la cathédrale de Port-au-Prince devait transiter le futur Président avant de prononcer son discours officiel à la nation dans les cours du Palais national.

1.    Socio-politiquement imposable ou juridiquement ancré ?

Le geste d’être du Président de se rendre au parlement est explicable dans un cadre légal temporel, car il est imposable à l’intéressé. Cependant, se rendre à la cathédrale pour la cérémonie religieuse ne l’est pas. Est-ce, explicitement, pour obtenir l’aval de l’église catholique ou l’expression d’une conviction à l’énonciation de l’apôtre (1) Paul en Romain 13 : 1 disant que «  Tout autorité vient de Dieu ». Ou, pouvait-on  le percevoir comme une position tactique, tenant compte de l’importance importance institutionnelle et démographique de l’Eglise ? L’église reste la plus puissante institution du pays tant en terme de force politique, informationnelle et démographique (2). Soixante-dix pour cent (70%) des haïtiens seraient encore officiellement chrétien catholique.  Ainsi, est-il logique de se demander si l’état haïtien pouvait n’être que dans les textes, laïc mais dans les faits, un état religieux ?

Rappelons que l’Etat haïtien a signé, le 28 mars 1860 (3), avec l’Eglise Catholique Apostolique et Romaine une convention dénommée : « Concordat entre Haïti et le Saint-Siège ». Cette convention, passée entre le Souverain Pontife Pie X et le Président de la République d’Haïti Fabre Geffrard a été sanctionnée par le Sénat de la République d’Haïti le 1e aout 1860. Elle établissait des rapports privilégiés entre les entités signataires : L’Etat haïtien et la Religion Catholique Apostolique et Romaine. Dans son article  1e de ladite convention, il est spécifié que : «  La religion catholique, apostolique et romaine, qui est la religion de la grande majorité des Haïtiens, sera spécialement protégée, ainsi que ses ministres dans la République d'Haïti, et jouira des droits et attributs qui lui sont propres ». L’article 5 ajoute que : « Les Archevêques et les  Évêques, avant d'entrer dans l'exercice de leur ministère pastoral, prêteront directement, entre les mains du Président d'Haïti, le serment … ».

Bien que cette convention ait été modifiée sous la présidence du Docteur François Duvalier, c’est aux travers de la constitution haïtienne du 29 mars 1987 qu’on a essayé de redresser la barre en exprimant les velléités de la fondation d’un état laïc en Haïti. Logiquement et légalement, il n’y aurait plus de suprématie du catholicisme sur les autres confessions religieuses du pays. Donc, tacitement, l’Etat haïtien a endossé, officiellement et légalement, la suprématie de la religion catholique sur les autres formes de cultes pratiqués pendant plus d’un siècle et un quart (1.¼)  soit de 1860 à 1987.

Les velléités exprimées dans la constitution haïtienne de 1987 sont-elles suffisantes pour ébranler des pratiques qui, de toute évidence, deviennent des traditions institutionnelles et ancrées dans un environnement social à instinct primitif (4) ? Ne serait-ce du pareille au même si le président serait d’une confession autre que le catholicisme (5) ? La laïcité ne peut-elle pas servit masque pour l’établissement d’un culte de la personnalité (6) ? Qu’est-ce en fait la laïcité ? Est-ce qu’Haïti serait effectivement un Etat laïc ?

2.    Qu’est-ce l la laïcité ?

La laïcité est « une conception politique qui affirme la neutralité et l’impartialité de l’Etat à l’égard des diverses conceptions religieuses » (7). Elle exprime la séparation nette et claire du domaine l'état de celui des religions ; une démarcation entre la sphère publique et la sphère privé ; une distinction entre le profane et le sacré. L’état n’exercerait aucun pouvoir religieux, et les confessions, aucun pouvoir politique. Par contre, le premier aurait, au nom de son rôle de principal garant de  la poursuite des objectifs de bien-être collectif, un pouvoir de contrôle et de réglementation des pratiques religieuses.

Née dans le sillage de la révolution française de 1789, la laïcité s’est amplifiée au fur et à mesure par la diffusion de la rationalité scientifique et technique moderne, la révolution industrielle, l’urbanisation et à la naissance d’une classe ouvrière échappant à l’influence des églises (8). La doctrine de la laïcité est issue de la remise en question du fondement religieux de l’ordre social. Weber la concevait comme une sorte d’autonomisation des sphères de l’agir social et la privatisation de la religion dans la société moderne.

Qu’on l’appelle « phénomène de laïcisation », « phénomène de sécularisation » (Durkheim), « phénomène de désenchantement du monde » (Weber), « phénomène de Démystification du monde » (Pierre Grossein), les  mouvements de laïcité des temps modernes s’inscrivent dans une mouvance d’égalité des droits de la personne humaine et de la liberté de conscience de chacun. L’origine du concept remonte aux écrits des philosophes grecs et romains, tels que Marc-Aurèle. On le retrouve dans la littérature des penseurs du siècle des lumières, celle des pères fondateurs de l’indépendance américaine, ainsi que chez les athées du siècle moderne. Dans certains pays on tente d’introduire des concepts qui permettraient une sorte de tolérance et de cohabitation harmonieuse des croyances et des pratiques religieuses. Par exemple, on parle de laïcité ouverte (9) dans un contexte d’inter-culturalisme et multiculturalisme, de laïcité par défaut etc. De toute façon, il faut rechercher dans cette évolution conceptuelle comment ces orientations sont cadrées avec l’énoncée de Jésus le Nazaréen : « Remet à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César », rapportée dans Mathieu 22 : 15-21, qui, à notre avis, est le principe d’orientation de la laïcité occidentale.

Il convient de souligner que dans certains pays occidentaux, considérés comme des model de modernité par excellence, la laïcité ne se conçoit pas toute en rupture avec la morale religieuse. C’est le cas des Etats-Unis d’Amériques où l’idéologie du vivre-ensemble est fortement reposée sur des valeurs communes, en particulier sur des références religieuses. La bible est reconnue comme le fondement religieux de la constitution de ce pays. Nous admettons que la modernité ne peut pas être strictement définie comme le passage du sacré au rationnel, tenant compte des résultats obtenus dans ces pays. Mais il doit y avoir explicitement une rupture entre le sujet et la nature (10). S’il n’y a pas de textes de lois qui se prononcent clairement sur la laïcité, si l’on se limiterait simplement à des références statutaires comme la constitution, et si l’on tient compte des pratiques actuelles, notre question sur le statut de l’Etat haïtien reste ouverte.

3.    Conformisme religieux, tactique politique,  ou expression de modernité relative

On peut essayer de comprendre le sens de l’acte d’un président haïtien de répondre à cette coutumière cérémonie religieuse en essayant de l’inscrire dans le registre des déterminants de l’action sociale de Weber (11). En effet, la sociologie wébérienne identifie quatre d’actions exprimant quatre comportements de l’acteur social. La première est : « L’action traditionnel » qui est posée par habitude ou par coutume c’est ce qui explique, par exemple, la différence dans les manières de saluer suivant le milieu social. La seconde est : « L’action affective » qui est animée par les sentiments qui expriment généralement l’émotion momentanée de l’acteur.  C’est le fait, par exemple, de frapper interlocuteur pour satisfaire un esprit de vengeance. Le troisième type est : « L’action rationnelle en valeur ». Elle est posée par le conviction de l’acteur qu’elle est la meilleur en référence à des valeurs esthétiques, éthiques, politiques ou autres. C’est le fait, par exemple, aux Etats-Unis d’Amériques d’être républicain ou démocrate ou, en France d’être à gauche ou à droite. Le dernier type d’action est : « L’action rationnelle en finalité ». Ici, l’acteur confronte des moyens et des buts avant d’agir. C’est le fait de déterminer sa consommation en fonction de sa bourse (Quantité d’argent que l’on dispose).

Ces quatre types d’actions peuvent être classés dans deux registres, suivant le degré de conscience de l’acteur. Au niveau des deux premiers types, les acteurs n’ont qu’une faible conscience du sens de l’orientation de leur action, tandis qu’au niveau des deux derniers il y a une forte conscience de l’orientation de l’action.

On peut aussi rechercher le sens de l’acte en le plaçant dans le décor de la perspective comtienne de l’évolution de l’esprit humain et des sociétés  humaines. Auguste Comte (12), dans sa fameuse « Loi des trois états » identifie trois phases du progrès de l’esprit humain et d’évolution des sociétés. La première est « L’état théologique ou fictif ». Au cours de cette phase l’esprit humain se représente les phénomènes comme produit par l’action directe et continue d’agents surnaturels plus ou moins nombreux, dont l’intervention arbitraire explique toutes les anomalies de l’univers. La seconde est « l’état métaphysique ou arbitraire ».  Durant cette phase, les agents surnaturels sont remplacés par des entités arbitraires. Enfin,  « l’état positif ou scientifique » au cours duquel l’esprit tente de trouver les lois d’évolution en appuyant sur le raisonnement et l’observation.

A la première phase, se classeraient les sociétés traditionnelles et / ou primitives, qui se représentent leur monde comme l’émanation et à la solde de force extérieures, en particulier, spirituels et qui instituent des règles de la vie sociale en référence à la religion. A la deuxième phase, se trouveraient les sociétés pré-modernes, où des germes des valeurs politiques et idéologiques comme la république, le civisme, la question des libertés publiques et individuels, l’usage de la raison … essaient de faire l’’affront à des valeurs sociales foncièrement religieuses. C’est une phase très importante pour la laïcisation de la société. Enfin à la troisième phase se trouvent les sociétés modernes et postmodernes où les valeurs identifiés au cours de la deuxième phase diminuent considérablement l’emprise des valeurs religieuse sur la vie sociale.

L’acte en question rapporté dans l’un comme dans l’autre de ces répertoires théoriques, il conviendrait de se demander s’il est nécessaire d’organiser une cérémonie religieuse, voire, strictement catholique, lors de l’investiture d’un président de la république ? Que disent les valeurs républicaines d’Haïti sur la question de la laïcité de l’état Haïtien ? Y-a-t’il un décret qui aurait exprimé et / ou décrit cette séparation de l'Église et de l'État haïtien ? Et, si l’on organiserait une cérémonie œcuménique (Vodou, Catholique, Protestant, et autre), au lieu d’une cérémonie exclusivement catholique ? Un tel acte n’aurait-t-il pas une signification sociale et politique qui trahirait de façon moindre le vœu de laïcité camouflé dans la charte de la république d’Haïti ?

A certains égards, l’acte du Président d’Haïti de se rendre à la Cathédrale de Port-au-Prince pour l’office religieux pouvait être compris comme une réciprocité  au privilège des rapports de l’Etat avec l’Eglise. Temporellement, on pouvait le comprendre par la possibilité le politique a de nommer les Archevêques et les évêques selon les termes des articles 4 et 5 du concordat qui conféraient aux autorités civiles l’ordination  officielle de toute la chaine du commandement de l’église. L’acte ne s’apparentait pas, strictement, à un acte non républicain mais, comme l’expression de relations conviviales et privilégiées avec l’Etat du Vatican à travers L’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine.  Dans une autre logique, il pouvait être simplement compris comme une expression de liberté individuelle du Président de pratiquer sa religion. Cependant, l’acte est posé au nom de la République et donc posté comme un acte d’Etat. Tacitement, cet acte et les formes de relations entretenues par l’Etat haïtien avec l’Eglise Catholique Apostolique et Romaine expriment  l’idée que la majorité des haïtiens sont unis dans une doctrine religieuse qu’est le catholicisme.

On serait même tenté de considérer cet acte comme pareil à l’énonciation de l’article 5 de la constitution haïtienne du 29 mars 1987 qui indique que « Tous les Haïtiens sont unis par une langue commune : le Créole – Kreyòl se sèl lang ki simante tout ayisyen ansanm – Vèsyon Kreyòl ». Quoique l’article 30 de cette même constitution spécifie que : « Toutes les religions et tous les cultes sont libres. Toute personne a le droit de professer sa religion et son culte, pourvu que l'exercice de ce droit ne trouble pas l'ordre et la paix publics ». Pour le moins, l’acte exprime encore l’idée d’une religion officielle ou supérieure. Un autre aspect qu’on peut considérer la teneur de l’énoncée de prestation de serment du président de la république par devant le parlement consigné dans l’article 135 :1. Il est énoncé ainsi : « Je jure, devant Dieu et devant la Nation, d'observer fidèlement la Constitution et les lois de la République, de respecter et de faire respecter les droits du peuple haïtien, de travailler à la grandeur de la Patrie, de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire ». Et si Dieu est représenté sur terre par une entité !

Un aspect sous-jacent de légitimité et d’enracinement social est exprimé dans l’acte du cérémoniel  religieux d’intronisation du président de la république.  Notons que durant la période du coup d’état de 1991 la légitimité du pouvoir, établi par les puchistes a été misée sur un signe des autorités catholiques. Certes, il n’a pas eu lieu le cérémoniel religieux (13), mais la remise, le 15 avril 1992, des lettres de créances du Mgr Lorenzo Baldisseri, comme le principal représentant de l’Eglise dans le pays, au Président de facto Joseph Nérette, a été hautement significatif en raison de l’importance de l’Eglise.  L’événement a été un atout extraordinaire d’enracinement social et politique (14).

L’officier religieux, en organisant une cérémonie religieuse solennelle exprime la reconnaissance officielle par l’Etat du Vatican du régime qui en découle. En cette occasion on peut le comprendre comme une démarche du pouvoir à faire accepter sa domination. Dans le cas, cité plus haut, sans ce cérémonial, le régime n’aurait été habillé d’aucun décor de légitimité. L’acte pouvait, certes, du type d’action traditionnel (coutume), affective par le fait que le principal concerné est catholique, mais il serait surtout rationnel en finalité et rationnel par rapport aux valeurs. Bien que l’haïtien est instinctivement animiste et / ou naturiste (15), pour le moins croyant, la recherche de la légitimé de la domination allait de paire avec la coutume et la croyance.

Notre étonnement est que : Même l’université d’Etat d’Haïti n’est pas laïc ! Posons-nous la question combien de cérémoniel de graduation de promotion d’universitaires, au niveau des universités tant privées que publiques, n’ait pas été, pour le moins commencée, par une prière ou un autre acte significatif de dévotion à un être supérieur et qui, en particulier, s’apparenterait au « Theos » de l’occident ? N’est-il pas de même pour des cérémonies convoquées au nom de la république ?

En fait, le système de l’enseignement haïtien n’a rien de concret au développement d’une culture de laïcité. Au contraire, on a constaté, curieusement, l’élimination des cours « Instruction civique et morale » au sein de l’enseignement primaire et fondamental mais, la conservation des cours de religions. On a éliminé le salut au drapeau et la récitation de l’hymne nationale, avant l’entrée en classe mais, on n’a pas toléré la prière au début et à la fin de la classe. A travers le système il y a donc une forme de socialisation qui est poursuivie. Il n’est aucunement étonnant qu’on voit dans des espaces publiques, des administrations publiques, dans des bureaux des officieux supérieurs s’exhibent des symboles religieux.

 Qu’il soit catholique, protestant, vodou ou œcuménique le cérémoniel religieux de l’investiture de la prochaine présidence aura une explication sociologique et méritera d’être socialement comprise. Qu’on lise l’acte comme l’expression d’une conviction de l’intéressé dans l’énoncée de l’apôtre Paul, d’un conformisme des valeurs sociales profonde ou la recherche d’une légitimation charismatique, cela va de soi. Ce qu’on doit savoir aussi, s’inscrivant dans un registre du passé et du temps présent l’acte est devenu une tradition et dont son contraire, qu’on pourrait considérer comme un acte aléatoire, peut peser très lourd (positif et / ou négatif – Ergodique ou chaotique) sur le devenir social haïtien.

Nous nous permettons de terminer cette partie par cette servile citation du sociologue haïtien Laënnec Hurbon, rapportée par Odette Roy Fombrun :
« ... si le lien social en Haïti doit être politique et non plus religieux, la laïcité est bien déjà l'horizon qu'il convient d'assumer en vue même de l'instauration de la démocratie....il faut préciser déjà qu'il ne s'agit pas de voir dans la laïcité un exercice de lutte contre le religieux, contre ses réapparitions incessantes sur la scène publique» (16).

4.    Une laïcité en devenir

Il n’existe aucun signe qui nous conforterait à dire que la république d’Haïti est un Etat laïc bien que, c’est un vœu exprimé dans la constitution de 1987. Pour le moins, Haïti donne l’étoffe d’une république cléricale. Les faits et gestes institutionnelles en témoignent. En depit du fait qu’elle ait été traitée « d’opium du peuple » (Karl Marx, in contribution à la critique de la philosophie), considérée comme « ombre porté de l’univers sur l’intelligence humaine » (Victor Hugo, in préface philosophique), ou comme une « invention / création de l’esprit humain et de la société humaine » (Emile Durkheim, in Les formes élémentaires de la vie religieuse) la religion continuera d’exister dans les sociétés, y compris Haiti, sous une forme ou sous une autre. La question est de savoir comment l’appropriée aux idéaux sociétaux et non qu’elle soit un outil d’asservissement.

Il est certain, la laïcisation de l’Etat haïtien est une mutation inévitable si l’on tient compte des données factuelles qui montrent une évolution dans la transposition des entités dans l’univers psychosocial haïtien. Pour reprendre Laënnec Hurbon : C’est une : « Émergence (difficile) de l'État démocratique de droit, émergence de la société civile, dont l'Église devra consentir tôt ou tard à faire partie...à être une des composantes... laïcité dynamique qui demeure inévitable pour qu'un vivre-ensemble soit possible dans la société haïtienne » (17).

Il conviendrait de rappeler pour nous la laïcisation ne signifie pas la disparition de toutes empreintes religieuses d’un milieu social, c’est-à-dire la disparition des rituels, des coutumes et des pratiques, des croyances. Ce serait un leurre de le penser. Lannëc Hurbon dit qu’« elle doit être plutôt comprise comme ce qui renvoie dorénavant le religieux dans le domaine du droit privé, sans supprimer pour autant tout impact possible du religieux dans la vie sociale, culturelle et politique. ..elle doit être comprise comme allant de soi dans tout contexte où il est question de liberté de penser à promouvoir et à sauvegarder comme relevant du droit public » (18).

La laïcisation signifie pour nous la souveraineté des valeurs républicaines sur les valeurs religieux. Nous avons souligné aussi que l’Etat laïc s’obtient après un long processus de désacralisation du social (19). Elle est certes un critère de la modernité (20) et une démarche de rupture avec l’explication de la réalité sociale par le surnaturel, cela ne veut pas pour autant dire qu’il faut être athée pour être moderne, rationnel ou scientifique. Il est certain que la laïcité doit être exercée sans excès, se baser sur une considération qui fait de l’homme le principal responsable de ses actes. Même si ces actes aient pour conséquence dérives ou succès. Il doit être clair que le social est le haut-lieu de l’histoire lieu de l’histoire. Il est habité de dynamiques irréversibles et complexes et c’est à l’acteur de déterminer l’impact de ses actions sur les fins qu’il poursuit.

5.    En guise de conclusion

Reformulons notre question problématique : Et si le nouveau Président, au nom d’une démarche rationnelle d’inclusion et de réconciliation de l’âme haïtienne avec elle-même, de rupture avec le passé, déciderait qu’on fasse un cérémoniel religieux œcuménique (21), réunissant les confessions : Catholiques, Vodou, Protestantes, et autres (22) ? Ne serait-il pas un événement remarquable et déterminant ? Quelque soit les réactions des concernés et les conséquences qui en découleraient, un rideau serait levé (23) ! L’âme haïtienne serait à découvert. De toute évidence, ce serait un gros coup pour l’église catholique que le prochain président de la république ne se rende pas comme d’habitude dans un espace, qu’il soit sous les décombres de la cathédrale de Port-au-Prince ou ailleurs, pour recevoir l’onction religieuse présidentielle. Il s’ouvrira inéluctablement, sur un scénario inédit dans l’histoire du peuple haïtien.

Est-ce qu’il faut se montrer irrespectueux à l’égard du sacré, intolérant aux pratiquants, dépraver au regard de la moral pour être à la page? Que dire de ceux qui croient pour être rationnel il ne faut pas être vertueux,  juste, honnête et probe ? N’est-ce pas un écart aux valeurs de la modernité et de la démocratie ?

Est-ce une expression d’anti ou d’athéisme de soulever la question ? Au nom des principes et des pratiques démocratiques, on a le droit d’être le second mais, pas le premier. C’est au nom de ces mêmes  valeurs que la question est soulevée. Terminons par cette affirmation : « La laïcité ne naît pas naturellement au sein d'un État, elle se bâtit ».

Notes bibliographiques

(1)         Titre utilisé dans la bible, particulièrement dans le Nouveau Testament, pour designer un envoyé – messager plénipotentiaire.

(2)          Benoit Guillou, « Tragique division de l’Eglise haïtienne », in Le Monde Diplomatique, septembre 1995, http://www.monde-diplomatique.fr/, Page 3. Notons que selon l’auteur, l’Eglise et l’Armée étaient les deux institutions les plus puissantes du pays.

(3)          Voir : « Mémoires d'un leader du Tiers Monde: mes négociations avec le Saint-Siège ; ou, une tranche d'histoire ». Paris,  Hachette, 1969.

(4)          Cela voudrait dire que l’haïtien est animiste et / ou naturiste. Voir Raymond Aron, Les Etapes de la pensée Sociologique, Paris, Editions Gallimard, Reproduction 2006, page 348.

(5)          Aurait-on un président qui se réclamerait officielle d’une autre confession religieuse que le catholicisme ? A part, François Duvalier au nom de la Négritude quel chef d’Etat haïtien avait tenté d’imposer le vodou comme identité cultuelle et culturelle du peuple haïtien ? bien que ce dernier n’a pas rompu avec sa foi catholique.

(6)          Voir l’article, « La dynastie duvaliériste puis l'espoir démocratique » sur http://www.kikote.com, dans lequel l’auteur cite «  Le dossier Haïti : un pays en péril, de Catherine Eve di Chiara, Paris, Tallandier, 1988 ». Dans ce document est rapportée cette oraison de déification du Dr François Duvalier  que réciteraient les écoliers haïtiens : « Notre Doc qui êtes au Palais national pour la vie, que votre nom soit béni par les générations présentes et futures, que votre volonté soit faite à Port-au-Prince et en province. Donnez-nous aujourd'hui notre nouvel Haïti, ne pardonnez jamais les offenses des apatrides qui bavent chaque jour sur notre pays ».

(7)         « Lexique de sociologie », Paris, Dalloz, 2005, page 145.

(8)         Jean Séguy, « sécularisation / laïcisation », in  Dictionnaire de Sociologie »,  Sous la direction de  Raymond Boudon, Paris, Editions Larousse-Bordas/HER, 1999, page 212.

(9)         Radio Canada, « Laïcité au Québec - Le Conseil du statut de la femme s'invite dans le débat sur la laïcité », Lun. 28 mars 2011, http://fr-ca.actualites.yahoo.com.

(10)       Alain Touraine,  « Critique de la modernité », Paris, Editions Fayard, page 392.

(11)       Voir  Max Weber « Economie et société », Plon, Presse de Pocket, Collection Agora, 1195.  

(12)       Voir « Cours de philosophie positive » d’Auguste Comte. Nous sommes d’avis que cette loi à un caractère limité du fait qu’elle conçoit l’évolution des sociétés d’une manière unilinéaire. Mais tenant du cadre civilisationel afro-occidental de la société haïtienne, elle une ressources théorique explicative d’importance majeure.

(13)       Il n’a pas eu lieu, peut-être en raison de la division de la hiérarchie de l’Eglise sur le coup d’Etat, bien qu’une grande partie semble l’avaliser. Voir Benoit Guillou, Op. Cit., page 4.

(14)       Un de nos interlocuteurs s’est questionné sur un quelconque rôle de l’Eglise catholique dans coup d’état qu’avait été victime le Président François Manigat en 1988. Ceci à cause de son insubordination. C’est à juste titre, que l’interlocuteur souligne que le Président Manigat n’avait pas reçu de Te Deum à la Cathédrale de Port-au-Prince. Le clergé catholique lui a-t-il même refusé le Te deum en raison du contexte politique de son accession au pouvoir ? Ou, est-ce le Président qui, lui-même aurait manifesté son désaccord ? Y-avait-il une volonté du régime de Manigat de faire une démarcation en le domaine de l’Eglise et celui de l’Etat, bref de remettre en question le pouvoir politique de l’Eglise catholique ? On sait, en attendant l’éclaircissement de ces questions, que le Dr Leslie François Manigat a bénéficié de l’apport spirituel de la 1ère église Baptiste de Port-au-Prince. Durant sa présidence, il avait l’habitude de se rendre à cette église pour assister au culte du dimanche. Est-ce que l’église catholique aurait joué un rôle dans le coup d’état qu’il a été victime parce qu’il n’aurait pas été catholique et, en plus, indomptable ? La question reste ouverte.

(15)       L’animisme est cette doctrine religieuse qui prétend que tout ce qui existe est animé par une force indépendante et supérieure.  L’homme aurait une double nature le corps et l’âme. Selon le naturisme les hommes adorent les forces naturelles transfigurées. Les deux sont les formes des plus élémentaires de la vie religieuse selon Durkheim.  Voir Raymond Aron, Op. Cit page 348.

(16)       Rapporté par Odette Roy Fombrun, dans le l’article « La laïcité de l’Etat vue par Laënnec Hurbon », dans le quotidien « Le Nouvelliste » du 2 septembre 2004, http://www.lenouvelliste.com

(17)        Rapporté dans l’article de Odette Roy Fombrun, Op. Cit.

(18)        Ibid.

(19)       Depuis 1901 la France manifeste son vouloir d’un état laïc par la publication du décret de 1901 sur ce sujet. Malgré les acquis, le débat se poursuit sur cette question.

(20)       Raymond Boudon et François Bourricaud, « Dictionnaire critique de la sociologie », Paris, Editions Presses Universitaires de France / Quadrige, 2004, page 400.

(21)       Cela pouvait servir de fer-de-lance à une cohabitation véritablement harmonieuse des religions en Haïti et un appui considérable au mouvement « Religion pour la paix » réunissant « vodouyizan », catholique, protestant, musulman, … fraichement initié dans le pays. Cette considération n’exprime pas aucun vœu.

(22)       Au moment de conclure cet article nous avons appris que le nouveau Président élu de la République d’Haïti a demandé à l’Eglise protestante de prier pour lui. On ne connait pas la signification implicite de cette requête.

(23)        Les pratiques religieuses ne sont innocentes dans le réel social (Négatif ou positif). C’est pour cette raison, nous sommes d’avis que l’enracinement des discriminations sociales va de paire avec l’enracinent religieux. Christiane Pelchat, présidente du Conseil du statu sur la femme au canada a raison de croire que « L'oppression des femmes émane beaucoup des religions monothéistes. ……/la religion catholique a été une source de discrimination faite aux femmes ».

Jean Laforest Visene
Sociologue
M.A Sciences du Développement

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